D’aussi loin que le crime existe, le criminel a pour réflexe naturel de dissimuler ses traces pour tenter d’échapper à la justice. Encore faut-il, pour y parvenir, que les traces de son action ou de son passage soient visibles à l’œil nu …
« Nul ne peut agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser de marques multiples de son passage. Tantôt le malfaiteur a laissé sur les lieux les marques de son activité ; tantôt par une action inverse, il a emporté sur son corps ou sur ses vêtements les indices de son séjour ou de son geste. » Edmond LOCARD, L’enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Flammarion, Paris, 1920.
Les microtraces, un indice très discret
Comme l’expliquait Edmond LOCARD dans son traité de Criminalistique, l’auteur abandonne des traces de sa personne et de son environnement sur la victime et sur la scène de crime et réciproquement, il emporte avec lui des traces de son acte. Une enquête criminelle s’appuie donc en partie sur les traces matérielles retrouvées sur les lieux d’un délit ou sur une scène de crime. Pour ce faire, les enquêteurs et la police scientifique y relèvent méthodiquement traces et indices.
Depuis deux décennies, les séries télévisées ont largement vulgarisé l’importance de la collecte des traces sur une scène de crime ou sur un individu suspect. Les possibilités d’exploitation de ces traces pour résoudre une enquête sont maintenant bien connues du grand public. La télévision et internet ont sans aucun doute aussi contribué à l’éducation des futurs criminels, en les informant sur les traces susceptibles de les confondre.
Pourtant, un type de traces reste encore aujourd’hui assez confidentiel, celui de l’infiniment petit. Ce monde où l’œil humain trouve ses limites est lui aussi peuplé de traces exploitables, que l’on nomme « microtraces ». Leurs dimensions sont généralement inférieures au millimètre et échappent à notre perception. Le seul défi est d’être capable de les collecter sans les voir, par le biais de prélèvements systématiques, afin de pouvoir ultérieurement les exploiter.
Prélèvement systématique des microtraces (fibres et poils notamment) par la technique du Taping 1:1 (application de bandes adhésives pré-numérotées) sur le corps d’une victime. Le prélèvement évite l’environnement des orifices balistiques afin de ne pas compromettre l’analyse et l’estimation de la distance de tir. Cette photographie est issue d’une reconstitution à des fins didactiques, avec la contribution volontaire d’une actrice dans le rôle de la victime. © 2014 INCC DJT King’s Group.
Les microtraces d’origine biologique
Une seule des cellules constituant notre corps humain contient tout le matériel nécessaire pour établir notre profil génétique, en d’autres mots notre « ADN ». Il n’est donc pas nécessaire qu’un criminel se blesse et saigne – ou abandonne ses autres fluides biologiques (salive et sperme notamment) – pour laisser son ADN sur une scène de crime. En effet, chacun de ses contacts avec la victime ou de ses manipulations d’objets dans l’environnement de la victime peuvent laisser quelques cellules de peau et conduire potentiellement à l’obtention de son ADN. En l’absence de contact, des projections microscopiques de salive ou de sang peuvent aussi mener à une identification par l’ADN.
Illustration au microscope (grossissement 200×, le repère métrique représente une unité de 50 microns) d’une microparticule de sang séché. Cette dernière mesure environ 600 microns de long par 300 microns de large, soit une surface de moins d’un cinquième de millimètre carré. Les microparticules de sang proviennent de petites projections de sang, non détectables à l’œil nu, en particulier sur les vêtements noirs (ou très foncés) d’un criminel. Un prélèvement systématique par bandes adhésives sur le vêtement va faire apparaître de manière claire ces microtraces de sang. En fonction de leurs dimensions et de la qualité du matériel génétique, ces dernières peuvent conduire à l’ADN de la victime par exemple. La microparticule illustrée présente des striations horizontales et verticales, ce qui indique que le sang a bien séché sur le tissu du vêtement en question. © 2014 Elsevier – Forensic Science International 246 (2015) 50–54.
Une touffe de cheveux arrachés dans la main de la victime n’est plus vraiment un indice que le criminel va laisser derrière lui. Toutefois, les vêtements d’une victime – ou encore ses sous-vêtements dans le cas d’un viol – peuvent receler de minuscules poils ou fragments de cheveux, eux-aussi susceptibles de mener à l’ADN du criminel.
Lorsque les faits se passent en extérieur, la nature peut aussi venir en aide à la justice via des débris microscopiques de minéraux ou de végétaux. Ceux-ci peuvent être retrouvés sous les semelles, sur les vêtements ou dans les poches d’un criminel par exemple. Ces microtraces peuvent être indicatives de la nature du sol ou de la végétation présente sur le lieu des faits, ou encore du lieu où la victime a éventuellement été déplacée après les faits.
Sans être exhaustif, un dernier type de microtraces biologiques, les diatomées, peut se retrouver dans les poumons d’une victime et aider à vérifier si la victime s’est bien noyée dans les eaux où elle est découverte (thèse accidentelle) ou s’il s’agit d’une mise en scène avec noyade préalable dans une eau de distribution par exemple. Les diatomées, sorte de microalgues unicellulaires, peuvent aussi varier entre les eaux du lieu de découverte d’une victime et son lieu de noyade et ainsi réorienter l’enquête vers la scène de crime originelle.
Les microtraces d’origine chimique
Les armes à feu sont régulièrement utilisées ou exhibées dans des faits criminels. La manipulation ou l’utilisation d’une arme conduit à la contamination des mains, du visage et des vêtements du criminel par des résidus de tirs. Ces derniers sont des particules microscopiques dont la forme et la composition chimique sont caractéristiques, bien que la composition puisse aussi varier en fonction de la munition et de l’arme impliquées. Les vêtements que nous portons sont aussi très utiles pour révéler des contacts criminels. En effet, la friction entre deux matières textiles qui entrent en contact l’une avec l’autre va provoquer un échange de minuscules entités microscopiques que sont les fibres textiles. Ces dernières sont la base de la fabrication des fils textiles qui servent à confectionner nos vêtements. Les fibres textiles sont aussi disponibles en surface des vêtements d’où elles peuvent être échangées par friction. Ces échanges peuvent être d’autant plus intenses que les contacts entre une victime et son agresseur sont violents. Les vêtements d’une victime recèlent donc des microtraces de fibres textiles provenant des vêtements de son agresseur, et en particulier dans les zones où se sont concentrés les contacts, comme la zone du cou dans l’exemple d’un étranglement. En accord avec les principes énoncés en son temps par Edmond LOCARD, l’agresseur va lui aussi emporter des microtraces de fibres issues des vêtements de la victime.
Illustration de la présence de fibres textiles vertes fluorescentes déposées par frottement d’un textile vert fluo sur la surface d’un vêtement en polar noir. A des fins didactiques, le textile vert utilisé est constitué de fibres longues et épaisses, démontrant une fluorescence verte intense. Dans la réalité des dossiers criminels, les microtraces de fibres sont généralement plus courtes et plus fines et elles ne démontrent spontanément aucune fluorescence : elles sont donc en pratique invisibles à l’œil nu et doivent être recherchées sur des prélèvements systématiques (par bandes adhésives) à l’aide de microscopes. © INCC – Lisa Van Damme
Un accident avec délit de fuite peut souvent avoir de graves conséquences pour la victime abandonnée blessée, lorsqu’il s’agit d’un usager faible comme un piéton ou un cycliste. En l’absence de vidéo-surveillance et de débris automobiles sur les lieux de l’accident, de microscopiques traces de peinture automobile peuvent être retrouvées sur les vêtements de la victime et leur analyse peut conduire à identifier une marque, voire un modèle de véhicule à faire rechercher par les services de police. Une fois le véhicule suspect retrouvé, une comparaison formelle peut intervenir avec la peinture des parties accidentées. En général, la comparaison demeure encore possible même si le véhicule a été réparé entre-temps.
Les microtraces, un vaste sujet
Les microtraces sont aussi diverses et variées qu’il existe de matières biologiques ou chimiques, capables de se disséminer ou de se fragmenter sous forme de traces microscopiques. Cet article n’a pas pour but d’être exhaustif et les exemples cités illustrent brièvement les microtraces les plus courantes dans les enquêtes criminelles. Chaque type de microtraces requiert des méthodes particulières de collecte par des opérateurs qualifiés et des techniques spécifiques d’analyse par un laboratoire spécialisé, trop longues à expliquer dans cet article généraliste. Des articles plus ciblés seront plus à même de détailler l’utilité de chaque type de microtraces dans l’enquête criminelle.
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