L’identification des restes humains appartenant à des personnes disparues reste un processus difficile en génétique médico-légale. Lorsque qu’un corps ou des restes humains non identifiés sont découverts, une comparaison entre le profil ADN post-mortem (obtenu à partir de prélèvements de tissus biologiques lors de l’autopsie) et le profil ADN ante-mortem (classiquement obtenu à partir d’objets personnels de la personne disparue ou d’un échantillon médical antérieur) est la plus méthode fiable d’identification [1].
Un certain nombre de pays ont mis en place des programmes nationaux d’identification des personnes disparues grâce aux analyses ADN qui sont très efficaces lorsque la disparition d’individus et la découverte de restes humains non identifiés se produisent dans le même pays. Cependant, de nombreuses enquêtes restent non-résolues même lorsque toutes les pistes nationales ont été étudiées.
La coopération internationale dans les enquêtes sur les personnes disparues est donc fortement conseillée à la lumière de l’augmentation des migrations mondiales, des conséquences de la criminalité transnationale et de la traite des êtres humains croissantes, de la vulnérabilité des migrants et des réfugiés, et du risque élevé de ces derniers d’être victimes d’un acte criminel.
INTERPOL, la plus grande organisation policière internationale au monde, a pour mandat de participer aux enquêtes internationales, y compris sur les personnes disparues, en connectant ses 195 pays membres. L’Organisation travaille principalement avec les institutions policières nationales via le Bureau Central National d’INTERPOL présent dans chaque pays, mais peut également coopérer avec d’autres entités internationales impliquées dans les situations d’identification des victimes de catastrophes et les affaires de personnes disparues. INTERPOL fournit le cadre juridique et l’infrastructure technique pour un échange sécurisé d’informations et un accès à ses 19 bases de données, permettant ainsi aux polices du monde entier de collaborer (Figure1).
Figure 1 : Les 19 bases de données d’INTERPOL. Crédits : Interpol.
Créée en 2002, la base de données ADN d’INTERPOL contient actuellement plus de 250 000 profils fournis par 86 pays membres. Les bureaux centraux nationaux et les entités internationales peuvent soumettre un profil ADN provenant d’un suspect ou condamné, de scènes de crime, de personnes disparues et de restes humains non identifiés, avec un résultat de recherche automatisé fourni en quelques minutes. Aucune donnée nominative n’est attachée au profil et les pays membres conservent la propriété de leurs informations, conformément aux règles de traitement des données d’INTERPOL. Les pays peuvent également choisir avec qui ils souhaitent rendre leurs données disponibles à des fins de comparaison. La base de données ADN d’INTERPOL a permis aux enquêteurs du monde entier d’établir un lien entre les auteurs d’infractions et différents types d’infractions, notamment des affaires de viol, de meurtre ou encore de vol à main armée ainsi que d’identifier formellement les personnes disparues retrouvées décédées en dehors de leurs frontières nationales d’où elles ont été portées disparues.
Cependant, dans de nombreux cas, les correspondances ADN directes ne sont pas possibles car les profils ADN ante mortem sont soit indisponibles soit insuffisants pour confirmer l’identité de la personne disparue. Ceci est souvent dû à l’impossibilité de récupérer des objets personnels (par exemple une brosse à dent appartenant à la personne disparue) ou d’accéder aux dossiers médicaux pouvant contenir des informations biologiques pertinentes. Par conséquent, dans la majorité des cas, les données ADN ante mortem ne peuvent être obtenues que par le biais de la donation d’échantillons biologiques par des proches génétiquement liés à la personne disparue aux autorités requérantes.
Alors que la plupart des laboratoires ont la capacité et l’expérience d’effectuer des tests de parenté relativement simples, tels que des tests de paternité, l’évaluation de scénarios de parenté complexes est beaucoup plus difficile [2]. Un logiciel informatique spécialisé est souvent nécessaire pour entreprendre des comparaisons de données ante-mortem et post-mortem afin d’effectuer des calculs de parenté complexes avec de grands ensembles de données de profils ADN. Ce logiciel calcule les rapports de vraisemblance (LR), qui constituent la base optimale pour les décisions statistiques, qu’il existe ou non une hypothèse sur les probabilités antérieures [3]. En utilisant des fréquences alléliques spécifiques de la population de référence à laquelle appartient la personne disparue, la probabilité qu’une personne disparue puisse appartenir à un arbre généalogique constitué des membres de la famille dont l’ADN est disponible (par exemple, parent, enfant ou frère de la personne disparue) est mesuré en comparant deux hypothèses ; H1 et H2. H1 soutient que l’individu appartient à l’arbre généalogique étudié, tandis que H2 soutient qu’ils ne sont pas liés [2]. Bien qu’il soit possible d’implémenter cette méthode dans un environnement national (la recherche en parentalité est utilisée dans plusieurs pays, dont la France par exemple) où la personne disparue et les restes humains non identifiés sont signalés dans le même pays, de nombreux défis devaient être résolus avant d’appliquer cette méthode à une configuration internationale.
INTERPOL a relevé ces défis et, en juin 2021, a officiellement lancé sa 19e base de données, I-Familia, dédiée à l’identification de personnes disparues au niveau mondial par la recherche ADN en parentalité (Figure 2).
Figure 2 : Le processus de comparaison ADN pour les enquêtes sur les personnes disparues à l’aide de la base de données ADN d’INTERPOL et d’I-Familia. Crédits : Interpol.
I-Familia est un service novateur, gratuit et disponible pour les 195 pays membres pour aider à trouver des relations biologiques potentielles entre les profils ADN de parents biologiques de personnes disparues et des restes humains non identifiés dans le monde. I-Familia est caractérisé par trois composants. Premièrement, une base de données ADN dédiée qui héberge les profils ADN anonymes des proches biologiques des personnes disparues et des restes humains non identifiés. Il s’agit d’une base de données autonome sans lien avec d’autres bases de données INTERPOL contenant des données criminelles. Deuxièmement, le logiciel de pointe BONAPARTE [4] qui est utilisé pour gérer les calculs de rapport de vraisemblance pour tout arbre généalogique familial avec les données ADN disponibles (profil ADN avec STR autosomiques, Y-STR ou ADN mitochondrial) avec tous les profils ADN de restes humains non identifiés. Troisièmement, des règles d’interprétation validées scientifiquement [5] pour aider les utilisateurs dans l’interprétation des résultats statistiques et le processus de prise de décision qui conduit au rejet ou à la déclaration d’une relation biologique potentielle.
L’évaluation statistique de l’appartenance d’un profil ADN avec un arbre généalogique ADN, nécessite l’utilisation de fréquences alléliques de la population de référence. Comme les informations sur l’origine génétique des individus dont l’ADN est étudié fait très souvent défaut ou sont indiquées de manière incorrecte, I-Familia permet des calculs de rapport de vraisemblance en utilisant des fréquences alléliques mondiales [6] et un facteur de correction pour tenir compte du degré de parenté des allèles avec une ascendance étroitement partagée. Pour rationaliser le processus de prise de décision et l’examen des relations biologiques potentielles, des simulations de pedigree approfondies ont été effectuées pour déterminer avec précision les seuils optimaux de rapport de vraisemblance. Sur la base des 10 scénarios les plus fréquemment rencontrés dans les enquêtes sur les personnes disparues (en fonction de la disponibilité des profils ADN de parents biologiques tels que les parents, enfants ou frères et sœurs) et le nombre de marqueurs génétiques STR qui sont comparables entre les profils (allant entre 6 et 24 marqueurs), les seuils de rapport de vraisemblance aident à limiter le signalement de correspondances faussement positives tout en minimisant le rejet de correspondances faussement négatives. Des tables d’interprétation, spécialement conçues pour refléter le nombre attendu de correspondances fortuites pour chaque type de correspondance, sont extrêmement utiles pour déterminer la décision la plus appropriée (étudier la correspondance, rejeter la correspondance ou demander des informations ADN supplémentaires).
Lorsque la force probante de l’information issue de l’étude ADN est suffisante et que les données ante-mortem et post-mortem sont compatibles, un rapport de relation biologique potentielle est envoyée aux deux sources de données qui peuvent alors coopérer sur une base bilatérale pour confirmer l’identification en utilisant leurs procédures nationales.
I-Familia a déjà permis l’identification de personnes disparues dont les corps ont été retrouvés dans un autre pays que celui où elles ont été portées disparues. La première concordance confirmée a été trouvée entre les profils ADN des enfants d’une personne disparue italienne et celui d’un corps retrouvé dans la mer Adriatique par la police croate en 2004, clôturant ainsi une affaire qui s’était avérée non résolue pendant près de 16 ans.
Fin 2021, plus de 12 000 notices jaunes actives – alertes policières internationales pour personnes disparues – avaient été émises par le Secrétariat général d’INTERPOL, soulignant la nécessité d’une plus grande coopération internationale. I-Familia est un outil humanitaire qui, grâce à la portée mondiale d’INTERPOL, ouvre de nouvelles possibilités immenses pour identifier les personnes disparues et apporter des réponses aux familles.
Pour toute information complémentaire sur I-Familia, veuillez consulter la brochure I-Familia [7].
References:
- [1] Recommendations on the Use of DNA for the Identification of Missing Persons and Unidentified Human Remains by the INTERPOL DNA Monitoring Expert Group, (2017). http://www.interpol.int.
- [2] M.D. Coble, J. Buckleton, J.M. Butler, T. Egeland, R. Fimmers, P. Gill, L. Gusmão, B. Guttman, M. Krawczak, N. Morling, W. Parson, N. Pinto, P.M. Schneider, S.T. Sherry, S. Willuweit, M. Prinz, DNA Commission of the International Society for Forensic Genetics: Recommendations on the validation of software programs performing biostatistical calculations for forensic genetics applications, Forensic Sci. Int. Genet. 25 (2016) 191–197. https://doi.org/10.1016/j.fsigen.2016.09.002.
- [3] A. Collins, N.E. Morton, Likelihood ratios for DNA identification., Proc. Natl. Acad. Sci. 91 (1994) 6007–6011. https://doi.org/10.1073/pnas.91.13.6007.
- [4] https://www.bonaparte-dvi.com/
- [5] FX. Laurent, A. Fischer, R. Oldt, S. Kanthaswamy, J. Buckleton, S. Hitchin, Streamlining the decision-making process for international DNA kinship matching using worldwide allele frequencies and tailored cutoff log10LR thresholds, Forensic Sci. Int. Genet. 56 (2021). https://doi.org/10.1016/j.fsigen.2021.102634.
- [6] J. Buckleton, J. Curran, J. Goudet, D. Taylor, A. Thiery, B.S. Weir, Population-specific F values for forensic STR markers: A worldwide survey, Forensic Sci. Int. Genet. 23 (2016) 91–100. https://doi.org/10.1016/j.fsigen.2016.03.004.
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