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Wallpaper laboratoire de Police Scientifique - Forenseek

Qu’est-ce que l’empreinte olfactive ?

L’empreinte olfactive peut être définie comme l’identification d’un individu par son odeur. Tout comme les empreintes digitales, les empreintes génétiques et désormais l’empreinte numérique, l’empreinte olfactive pourrait, à terme, être utilisée comme marqueur spécifique d’un individu.

L’empreinte olfactive tire son origine de la trace odorante émanant d’un être humain qui peut être soit laissée sur un support suite à un contact, soit présent et véhiculé dans l’air suite au passage de l’individu. Bien que la notion de trace odorante soit ancienne, il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour montrer la faisabilité et la pertinence du prélèvement de ces traces, qui n’apparaissent pas évidentes a priori (à la différence d’une trace de sang, d’un épandage de liquide inflammable ou d’un impact de projectile balistique qui sont « visibles »). Les évolutions dans les matériaux de collecte (polymères, tissus…) ont également rendu possible ces prélèvements et leur conservation. Dans le même temps, les évolutions analytiques (chromatographie notamment) ont quant à elles permis une meilleure mise en évidence de ces traces, et une meilleure connaissance de leur composition.

Il est donc désormais possible de recueillir ces traces sur une scène de crime, ainsi que sur des individus eux-mêmes, ceci à des fins de rapprochement. Les techniques dites « d’odorologie » ou « d’olfaction criminelle » utilisant le chien sont basées sur cette confrontation entre l’odeur prélevée sur une scène (trace odorante) et une odeur corporelle directement prélevée sur un individu (odeur directe).

L’odeur est une combinaison complexe de plusieurs centaines de molécules. Parmi elles, on peut retrouver une composante dite primaire, qui comporte une partie statique génétiquement déterminée et resterait donc stable chez un sujet au fil du temps. Une partie plus variable, influencée par des paramètres tels que l’activité physique ou psychique, l’alimentation et l’environnement (odeur secondaire), ou encore les produits cosmétiques et tous les autres composés exogènes en général (odeur dite tertiaire), viennent s’y ajouter.

Malgré cette complexité, l’efficacité des chiens dans le cadre de recherche de personnes disparues ou pour des pistes n’est plus à prouver. Cependant, elle trouvera toujours des limites dans le cadre de l’identification formelle d’un individu qui n’est plus présent à un endroit donné et à un moment donné. Ces limites sont dues à ce stade au manque de connaissance du fonctionnement de l’odorat du chien, et en particulier les molécules impliquées dans la reconnaissance d’un individu, qui reste encore un mystère, même dans la littérature scientifique.

Le manque d’information sur la trace à proprement parler et sur le processus de discrimination d’odeurs effectué par le chien lors du pistage est un véritable écueil et diminue la force probante de la méthode.

Par ailleurs, le biais généré par le tapissage (« line-up ») en lui-même, ainsi que la question de l’interprétation de l’absence de marquage du chien se pose (absence de trace ou non détection du chien).

Ces constats ont conduit les spécialistes de l’IRCGN à considérer de façon complémentaire au chien, des méthodes et moyens de prélèvements, d’analyses chimiques et de traitements statistiques, afin d’exploiter par une autre voie cette trace prometteuse.

Dans l’optique d’une identification formelle lors du procès pénal, l’emploi de deux techniques orthogonales (équipe cynophile et analyses au laboratoire) qui conduiraient in fine au même individu renforcerait ainsi considérablement la force probante de la trace révélée.

A terme, une approche « de laboratoire » serait donc un véritable appui pour les identifications réalisées par les chiens. En effet, le marquage d’un chien trouverait son écho au laboratoire, et en cas d’absence de marquage dû à une trace partielle ou dégradée, une classification au laboratoire permettrait tout de même d’orienter les enquêteurs et les magistrats dans leurs investigations.

Le projet « Empreinte olfactive », porté par l’IRCGN, est construit sur un principe de conception évolutif. Menant de front un travail sur le prélèvement de l’échantillon avec le développement de méthodes et d’outils utilisables facilement sur le terrain (pompe de prélèvement ayant fait l’objet d’un brevet), l’utilisation d’outils analytiques de pointe tels que la chromatographie en phase gazeuse bidimensionnelle intégrale couplée la spectrométrie de masse, ainsi que des techniques de traitement des données (informatiques et statistiques), l’IRCGN cherche à proposer une solution aux enquêteurs pour réussir à classifier voire même individualiser pour augmenter la force probante de l’information apportée par le chien.

Ce projet de recherche peut répondre à des problématiques dépassant le domaine criminalistique, du fait de l’identification des molécules chimiques sécrétées par le corps, dont certaines intéressent le monde médical, notamment dans les phases de diagnostics.

Par exemple, le projet « KDog COV », porté par l’Institut Curie, est une recherche impliquant la personne humaine qui a pour objectif d’analyser l’odeur humaine pour mettre en évidence de potentiels marqueurs chimiques du cancer du sein à l’aide de techniques de chimie analytique. Ce programme de recherche a pour but d’élaborer une technique de dépistage du cancer du sein simple, peu coûteuse et non invasive. Les analyses sont réalisées en partenariat avec l’IRCGN qui a déjà développé des méthodes de prélèvement et d’analyse de l’odeur pour le domaine de la criminalistique.

Références des travaux

  • [1] V. Cuzuel, G. Cognon, I. Rivals, C. Sauleau, F. Heulard, D. Thiébaut, J. Vial, Origin, analytical characterization and use of human odor in forensics, J. Forensic Sci. 62 (2017) 330–350. doi:10.1111/1556-4029.13394.
  • [2] V. Cuzuel, E. Portas, G. Cognon, I. Rivals, F. Heulard, D. Thiébaut, J. Vial, Sampling method development and optimization in view of human hand odor analysis by thermal desorption coupled with gas chromatography and mass spectrometry., Anal. Bioanal. Chem. 409 (2017) 5113–5124. doi:10.1007/s00216-017-0458-8.
  • [3] V. Cuzuel, A. Sizun, G. Cognon, I. Rivals, F. Heulard, D. Thiébaut, J. Vial, Human odor and forensics. Optimization of a comprehensive two-dimensional gas chromatography method based on orthogonality: How not to choose between criteria, J. Chromatogr. A. 1536 (2017) 58–66. doi:10.1016/j.chroma.2017.08.060.
  • [4] V. Cuzuel, G. Cognon, D. Thiebaut, I. Rivals, E. Portas, A. Sizun, F. Heulard, Reconnaître un Suspect grâce à son Odeur : du Chien aux Outils Analytiques, Spectra Analyse, 318 (2017) 38–43.
  • [5] V. Cuzuel, R. Leconte, G. Cognon, D. Thiébaut, J. Vial, C. Sauleau, I. Rivals, Human odor and forensics: Towards Bayesian suspect identification using GC × GC–MS characterization of hand odor, J. Chromatogr. B Anal. Technol. Biomed. Life Sci. 1092 (2018) 379–385. doi:10.1016/j.jchromb.2018.06.018.
  • [6] I. Rivals, C. Sautier, G. Cognon, V. Cuzuel, Evaluation of distance‐based approaches for forensic comparison: Application to hand odor evidence, J. Forensic Sci. (2021) 1556-4029.14818. doi:10.1111/1556-4029.14818.
  • [7] M. Leemans, I. Fromantin, P. Bauër, V. Cuzuel, E. Audureau, Volatile organic compounds analysis as a potential novel screening tool for breast cancer: a systematic review (submitted)
Cerveau criminels Forenseek memory print

Dans le cerveau des criminels

Avec le film “Criminel” ou encore la série “Mind Hunter“, la production américaine nous avait déjà habitués à plonger au coeur des esprits criminels. La fiction devient aujourd’hui une réalité, comme vient de l’expérimenter la police de Dubaï avec sa machine Memory print.

Lire dans les pensées d’un suspect pour mieux le confondre, c’était il n’y pas si longtemps une idée digne d’une oeuvre d’anticipation. C’est  aujourd’hui possible. Le département Général des sciences judiciaires et de criminologie de Dubaï* vient en effet d’utiliser pour la première fois la technologie “Memory print” (que l’on peut traduire par “machine à imprimer la mémoire”), afin de résoudre une affaire criminelle. Une première qui ouvre sans aucun doute de nouvelles perspectives aux enquêteurs du Monde entier.

L’affaire a eu lieu en janvier 2022. Suite à un meurtre commis dans un entrepôt où l’on avait retrouvé l’arme du crime, la police de Dubaï a identifié plusieurs suspects potentiels. Les enquêteurs ont décidé de les soumettre à ce nouvel outil technologique qui depuis un an, était déjà en cours d’expérimentation dans leurs services. 

Memory print, un polygraphe cognitif 100% fiable?

Comment fonctionne cette technique? Lors d’un interrogatoire, un casque muni d’électrodes et relié à la machine, est placé sur le crâne de l’individu.  On lui lui présente ensuite des photos ou des objets reliés au meurtre. La “Memory print” enregistre alors les ondes cérébrales émises par son cerveau et notamment les ondes cérébrales P300. Ces dernières correspondent à une activité cérébrale déclenchée par un stimulus visuel ou auditif. Un pic de ces ondes spécifiques signifie que la personne a imprimé dans son cerveau le souvenir de l’objet ou de la scène qu’on lui présente sur des photos. En un mot, ou plutôt avant même de pouvoir formuler un mot, elle est trahie par sa mémoire, capable de stocker tous les événements de la vie quotidienne!

Les neurosciences à la rescousse de la vérité.

Cette technique qui place les neurosciences au coeur de l’enquête policière et des techniques forensiques, a été mise au point par le neuroscientifique américain  Lawrence Farwell, ancien chercheur à la prestigieuse université de Harvard et  inventeur de la “brain fingerprinting*” (ou technologie d’empreinte cérébrale). il s’agit en quelque sorte d’un polygraphe cognitif quasiment infaillible. Lawrence Farwell dirige actuellement le Brain fingerprinting laboratories dont l’objectif est de développer des systèmes de tests pour déterminer quelles sont les informations stockées dans la mémoire humaine afin de  les mettre à la disposition de la justice en tant que preuves scientifiques.

Son travail l’a déjà placé sur la liste des cent innovateurs les plus influents du XXIème siècle dans le magazine Time.  Il a même fait une apparition avec sa machine dans la deuxième saison d’un documentaire sur Netflix, “Making of a Murderer. Là encore,  la réalité rejoint la fiction….

Une preuve recevable?

Aux Etats Unis, les tribunaux ont de plus en plus souvent recours à l’imagerie cérébrale. En France, en revanche, les magistrats sont encore peu enclins à utiliser cette source “cognitive” de vérité, car si le cerveau ne peut mentir, il reste toutefois délicat d’en interpréter les réactions.

Dans le cas de l’affaire de Dubaï, la “Memory print” a parfaitement remplie son rôle! En effet, le cerveau de l’un des suspects a réagi à la vue  de l’arme du crime par une salve d’ondes P300. Interrogé par les policiers, il est ensuite passé aux aveux.

Sources

*brainwavescience.com

*https://menafn.com/1101492036/Dubai-Police-nab-murderer-by-looking-into-his-brain

L'expertise de trace d'oreille dans la police scientifique article Forenseek

L’expertise en trace d’oreille

L’oreille présente une telle variabilité morphologique que la trace qu’elle va laisser sur une scène de crime peut devenir un élément d’identification déterminant. La présence de trace d’oreille permet de caractériser un mode opératoire particulier visant en une écoute attentive à travers, par exemple, la porte d’un appartement cambriolé. Bien que la trace d’oreille ne puisse suffire à elle seule pour identifier un individu, son expertise constitue un outil d’investigation indéniable.

Introduction

De par ses nombreuses variations de taille et de forme, l’ oreille s’ est toujours inscrite comme un élément déterminant dans l’ identification de la personne. Qu’il s’agisse de Rodolphe Archibald Reiss, fondateur de la première école de police scientifique, à Lausanne en 1909, ou d’Edmond Locard, fondateur du premier laboratoire de police scientifique, en 1910 à Lyon, depuis plus de cent ans, les spécialistes en identification se sont relayés, qualifiant le pavillon externe de l’oreille comme l’élément le plus discriminant du visage humain. D’après ces spécialistes, la forme de l’oreille serait tellement variée qu’ on ne saurait trouver deux oreilles semblables lors de l’examen des photographies de celles-ci prises dans des conditions standardisées. C’est d’ailleurs Alphonse Bertillon, fondateur du service de l’anthropométrie judiciaire, en 1882 à Paris, qui fut l’initiateur de l’enregistrement de l’oreille comme élément discriminant dans l’établissement de son portrait parlé en matière d’identification des récidivistes.

Des études scientifiques récentes exploitant la variabilité morphologique de l’oreille ont démontré qu’au-delà de l’inversion symétrique gauche / droite, ce seul élément pouvait rendre possible la différenciation des deux oreilles d’une même personne, voire la différenciation de jumeaux monozygotes. L’oreille présente une telle variabilité morphologique que la trace qu’elle va laisser sur une scène de crime peut devenir un élément d’identification puissant. Comme nous le discuterons plus en détail ci-après, les traces laissées par les oreilles sont certes moins riches en information que les photographies signalétiques standardisées1, mais elles présentent des formes qui peuvent être rapprochées et fournir une force d’association non négligeable.

Ecoute attentive à travers une porte laissant une trace d'oreille

Individu procédant à une écoute attentive à travers une porte d’un appartement. En procédant ainsi, ce dernier laisse une trace d’oreille, pouvant être exploitée par la police scientifique sur les lieux de l’infraction. Sébastien AGUILAR ©

Où les retrouve-t-on ?

D’un point de vue physique, lorsque l’oreille entre en contact avec un support pouvant être une porte, une vitre ou même un mur, elle transfère une fine pellicule de résidus graisseux sur la surface. Il s’agit en quelque sorte d’une impression, à la façon d’un tampon, de la forme de l’oreille sur le support. En matière de cambriolage, le délinquant laisse souvent une trace de son oreille sur la porte de l’appartement qu’il convoite car il souhaite vérifier par l’écoute, la présence éventuelle des personnes dans le domicile. Ces traces sont relevées sur les lieux par les intervenants de la police et de la gendarmerie scientifique aussi bien sur les portes des appartements cambriolés que sur les portes palières. Il arrive, en effet, que certaines personnes, ou parfois un groupe de personnes, procèdent à de multiples écoutes avant de commettre une infraction. Régulièrement, il est possible de découvrir des scènes de cambriolage avec trois ou quatre traces d’oreille issues de personnes différentes sur un même étage ou sur des étages différents. Lorsque les cambriolages sont perpétrés en série, ces traces permettent de mettre en relation ces différents cas.

L’intérêt de la trace d’oreille pour l’enquête judiciaire

À une époque où la découverte de traces papillaires sur les scènes d’infraction se fait de plus en plus rare, les traces d’oreille constituent une véritable opportunité pour l’enquête judiciaire. Les pratiques françaises, suisses et belges ont montré que ces traces n’étaient en rien marginales puisqu’elles pouvaient être découvertes dans environ 20 % des cas de cambriolages en appartement (habitations principales). En effet, les auteurs de cambriolages pensent bien souvent à prendre leurs précautions à l’intérieur du logement visé, mais restent peu méfiants quand il s’agit de l’extérieur de la scène d’infraction. 

La force des traces auriculaires réside dans le fait qu’il n’y a pas nécessité d’avoir accès à une base de données nominatives. Le spécialiste en traces d’oreille peut être en mesure de rapprocher plusieurs affaires entre elles ; c’est ce que l’on appelle l’ établissement de liens sériels. À partir de ces informations, le spécialiste indique au service enquêteur la sérialité des faits qu’ il vient d’établir. L’officier de police judiciaire en charge des présentes enquêtes peut s’appuyer sur d’autres éléments de police technique et scientifique comme les traces papillaires ou l’ADN afin de confondre d’éventuels suspects. Il est, à ce titre, essentiel que les techniciens de scène de crime puissent réaliser un prélèvement biologique sur la trace de la joue à l’entour de la trace d’oreille. En effet, les derniers résultats indiquent que ces prélèvements ADN permettent l’établissement de profils génétiques dans environ 25 % des cas.

Dès lors que ces prélèvements sont réalisés, l’officier de police judiciaire ou le magistrat instructeur peuvent requérir un relevé d’empreintes d’oreille de l’individu à l’encontre duquel il existe une ou plusieurs raisons de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre l’infraction. En parallèle, l’autorité judiciaire peut solliciter d’un spécialiste en traces auriculaires des comparaisons entre les traces incriminées et les empreintes d’oreille du ou des individus suspectés.

Dans une affaire criminelle en région parisienne, un individu était mis en cause par son ADN retrouvé sur des liens ayant servi à ligoter une victime à son domicile. La personne mise en cause explique alors aux enquêteurs la présence de son ADN sur les lieux du fait qu’elle avait probablement touché ces liens au cours de sa vie mais qu’à aucun moment elle n’avait participé aux faits ni même été présente sur les lieux. Les liens lui auraient été probablement dérobés à son domicile. Or, les techniciens de scène de crime relevaient sur les lieux une trace d’oreille sur la porte de l’appartement de la victime. À la demande de l’officier de police judiciaire, une comparaison était effectuée entre la trace incriminée et les empreintes d’oreille de l’individu mis en cause. Le résultat de cette expertise tech- nique venait infirmer les déclarations de l’individu. Ce dernier rencontrait beaucoup plus de difficultés quant à la justification de la présence d’une trace d’oreille lui correspondant, en plus de son ADN, sur les lieux de commission des faits. Ici, la trace d’ oreille s’ insère dans un faisceau d’indices et permet de reconstruire une séquence d’ activités de manière plus aisée que la trace ADN relevée. La trace d’oreille est en effet directement liée à l’ activité d’ écoute alors que l’ADN peut être transféré par des mécanismes multiples.

infographie liens sériels trace d'oreille
Représentation graphique de liens sériels en utilisant les traces d’oreille (en bleu) en complément des traces biologiques (en orange) et traces papillaires (en violet). Sébastien AGUILAR ©

Peut-on relever les empreintes d’oreille d’un individu ?

Conformément à l’article 55-1 du Code de procédure pénale, l’officier de police judiciaire peut procéder, ou faire procéder sous son contrôle, sur toute personne susceptible de fournir des renseignements sur les faits en cause ou sur toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre l’infraction, aux opérations de prélèvements externes nécessaires à la réalisation d’examens techniques et scientifiques de comparaison avec les traces et indices prélevés pour les nécessités de l’enquête.

Le Conseil constitutionnel a jugé, au sujet de l’article 30 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, « que l’expression « prélèvement externe » fait référence à un prélèvement n’impliquant aucune intervention corporelle interne ; qu’il ne comportera donc aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des intéressés ; que manque dès lors en fait le moyen tiré de l’atteinte à l’inviolabilité du corps humain ; que le prélèvement externe n’affecte pas davantage la liberté individuelle de l’ intéressé ». Dès lors, le relevé d’empreintes auriculaires peut être demandé par l’ autorité judiciaire, tout comme le refus de prélèvement peut être puni d’un an d’ emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

trace d'oreille relevée sur une scène de crime
Relevé d’une empreinte auriculaire droite sur un individu. Sébastien AGUILAR ©

L’admissibilité de la preuve

À l’instar du système anglo-saxon où, comme aux États-Unis, les éléments scientifiques présentés au tribunal sont sujets à des règles d’admissibilité (selon les décisions Frye ou Daubert), le principe de la liberté des preuves et de la libre appréciation de celles-ci prévaut en France (art. 427 du CPP). Ainsi, le juge est libre d’accepter ou de refuser une preuve selon sa propre conviction. De ce fait, en matière de recherche de traces et indices sur une scène d’infraction, tous les modes de preuve sont recevables tant qu’ils sont obtenus de manière légale. L’officier de police judiciaire ou toute personne habilitée sous son contrôle ne peuvent obliquer quant à ce mode de preuve. L’élément matériel que constitue la trace d’oreille permet de caractériser un mode opératoire particulier consistant en une écoute attentive au travers d’un support. Ce mode opératoire peut, dans de nombreux cas, laisser présumer un acte préparatoire à la commission d’une infraction. En tout état de cause, les traces auriculaires pouvant concourir à la manifestation de la vérité doivent être recherchées et prélevées de manière systématique sur l’ensemble des scènes criminelles et délictuelles.

Quel regard adopté face à ces travaux techniques ?

Au cours de son examen, le spécialiste devra se baser sur les articles scientifiques reconnus par la communauté scientifique et s’appuyer sur ses connaissances et l’expérience technique qu’il a pu acquérir dans sa vie professionnelle comme dans son activité d’expertise.

Nous notons toutefois des attentes disproportionnées dans les réquisitions faites aux spécialistes de police scientifique. En effet, il est souvent demandé aux scientifiques d’apporter un résultat catégorique, limite binaire, à l’autorité judiciaire quant à l’analyse ou à la comparaison technique effectuées. Les quelques questions plus bas, extraites de mandats d’expertise, attestent des attentes d’une réponse catégorique :

• Est-ce que le mis en cause est à l’origine de la trace de contact ADN découverte sur l’arme du crime ?

• Le projectile découvert sur la scène de crime a-t-il oui ou non été tiré par l’arme saisie ?

• La trace d’oreille retrouvée sur la porte a-t-elle été laissée ou non par Monsieur X. ?

L’avènement depuis les années 2000 de séries télévisées à l’image de la plus connue, Les Experts, a véritablement eu un impact considérable sur la perception des actes de police technique et scientifique par le large public ou les acteurs judiciaires. Bien que ces séries aient créé un véritable engouement autour de ce métier alors méconnu, elles ont cependant véhiculé l’idée que les sciences pouvaient absolument tout prouver de manière factuelle et qu’il n’y avait aucune place pour le doute.

Les progrès scientifiques de ces dernières années en matière de sciences criminelles sont assurément spectaculaires. Capable aujourd’hui d’établir le profil génétique à partir de quelques cellules, la technique que nous évoquons était inimaginable il y a tout juste quinze ans. Les moyens et les techniques utilisés étant de plus en plus sensibles et spécifiques, les opérateurs et les analystes doivent être de plus en plus attentifs aux différents risques d’erreurs, de contaminations, de transferts ou d’interprétation. En sciences forensiques (ou criminalistique), la correspondance entre deux éléments n’est jamais parfaite et il en va de même pour des traces et des empreintes d’oreille. De la comparaison effectuée entre deux traces provenant de la même source, on observera toujours quelques différences. De même que de la comparaison des traces avec des empreintes d’oreille d’individus qui n’en sont pas à la source, on risquera toujours la possibilité d’observer une correspondance fortuite. L’objectif du scientifique est de pouvoir adopter une méthodologie permettant de maîtriser et caractériser ces risques d’erreur. C’est bien là tout l’enjeu du scientifique et plus particulièrement de la police technique et scientifique. Ainsi, en matière de traces d’oreille, comme dans tout domaine des sciences forensiques, il n’est pas raisonnable d’en attendre des certitudes. Au mieux, les indices s’exprimeront en termes de probabilités.

Dans le cas d’expertise de traces d’oreille, il est essentiel que le spécialiste puisse apprécier la structure morphologique de l’oreille de l’ individu. Cette dernière étant constituée de parties cartilagineuses et d’autres plus flexibles, la méthodologie utilisée prendra obligatoirement en compte la variabilité intrinsèque de l’organe. En effectuant plusieurs relevés d’empreintes de la même oreille, le spécialiste évalue les différences mises en évidence (distorsion, écrasement, absence, déformation, etc.). Ainsi, il analyse, compare et évalue la reproductibilité de chaque caractéristique de l’ oreille présente sur les empreintes d’oreille. Cette évaluation lui permet de constituer ce que l’on appelle l’« intravariabilité ».

De ce fait, lorsque le spécialiste procède à une comparaison entre une trace incriminée et l’empreinte d’oreille d’un individu, il évalue d’une part les différences rencontrées au regard de l’ intravariabilité définie préalablement et d’autre part le degré de rareté de chaque caractéristique observable (lié à l’ « intervariabilité »). Si les différences sont peu nombreuses et rentrent dans la zone de tolérance définie, il émet un rapprochement plus ou moins fort en fonction de la qualité de la trace et du nombre de caractéristiques visibles.

Si au contraire, ces divergences sont nombreuses ou sortent de cette zone de variabilité, l’expertise permet d’ éliminer des personnes mises en cause et, par conséquent, de réorienter l’enquête. Enfin, dans un souci d’impartialité, le spécialiste soumet ses comparaisons à un second, qui effectue un nouvel examen à l’ aveugle, c’est-à-dire sans connaitre les résultats du premier. Cette phase de vérification est essentielle et gage de fiabilité. Cette méthodologie reconnue par la communauté scientifique, nommée ACE-V(Analyse-Comparaison-Évaluation-Vérification), permet ainsi de limiter au maximum les risques d’erreur et de biais.

Comparaison trace d'oreille affaire criminelle

Superposition (au centre) entre une trace d’oreille incriminée relevée sur une scène de crime (à gauche) et l’empreinte d’oreille d’un individu suspecté (à droite). L’ensemble des observations et des comparaisons effectuées entre la trace auriculaire incri- minée et l’empreinte d’oreille gauche du mis en cause permet de tendre fortement en faveur de l’hypothèse selon laquelle la trace auriculaire sus-mentionnée résulterait de l’apposition de l’oreille gauche du mis en cause plutôt que d’une autre personne. Sébastien AGUILAR ©

Identification ou rapprochement de trace d’oreille ?

Au regard des techniques actuelles, il est important de replacer cette technique dans son contexte. L’utilisation des traces auriculaires dans l’enquête judiciaire ne peut conduire à une identification stricto sensu. En revanche, en fonction de la qualité intrinsèque (morphologie de l’oreille) et extrinsèque (qualité du support, du relevé, de la poudre utilisée, de la pression exercée, etc.) de la trace d’oreille, le spécialiste établira un rapport de rapprochement plus ou moins important. En moyenne, et il faut insister sur le fait que chaque cas peut avoir ses propres spécificités, la probabilité d’une coïncidence fortuite est de l’ordre de une chance sur mille à une chance sur dix mille.

Bien que la trace d’oreille ne puisse se suffire à elle seule pour identifier un individu, son expertise constitue un outil aux perspectives investigatrices indéniables. Dès lors qu’il existe un faisceau d’indices concordants suite à des éléments d’enquête comme des témoignages, de la téléphonie, de la surveillance ou encore par d’autres éléments matériels de police technique et scientifique, la trace d’oreille devient en quelque sorte le tournevis resserrant le lien entre différentes affaires ou entre une affaire et un suspect.

La justice et la trace d’oreille

En France, de nombreux dossiers de rapprochements de traces d’oreille ont été traités, principalement pas les juridictions des agglomérations parisienne et lyonnaise.

Prononcé publiquement le 17 février 2016, par le Pôle 4 – Ch 10 des appels correctionnels, sur un appel d’ un jugement du Tribunal de grande instance de Créteil – 12e chambre du 16 octobre 2016, la cour d’appel de Paris se prononce quant à l’utilisation de traces d’oreille dans une affaire de vols avec effraction. Elle cite notamment qu’ « une empreinte génétique a été retrouvée à l’endroit où les techniciens de police scientifique ont relevé une empreinte auriculaire gauche ; qu’il résulte ainsi de la combinaison de ces deux empreintes que le prévenu est bien à l’origine et de l’apposition de son ADN et de la trace auriculaire, validant ainsi la technique d’empreinte auriculaire utilisée par la police technique […] ; que les comparaisons des différentes traces relevées sur les scènes d’infraction avec les empreintes auriculaires prélevées sur le prévenu en garde à vue attestent que, nonobstant ses dénégations, son implication dans ces cinq faits est avérée. »

La décision de justice du 13 décembre 2017 prise par la 14e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, illustre parfaitement la combinaison d’ éléments de preuve œuvrant à la manifestation de la vérité. « M. X reconnaît avoir commis dix-neuf des trente-deux faits qui lui sont reprochés, en décrivant le mode opératoire systématiquement employé. Ses aveux sont corroborés par les constatations des enquêteurs sur chacun de ces faits, par les résultats de la comparaison effectuée par la police technique et scientifique entre les empreintes d’oreille relevées et les oreilles du prévenu et/ou par les résultats de l’expertise diligentée sur les traces d’oreille. Au surplus, ces éléments ont été confortés, s’agissant de certaines infractions, par un rapprochement avec l’ADN de l’intéressé, une trace de chaussure correspondant à celles portées par celui-ci et le bornage de sa ligne téléphonique sur le lieu d’un cambriolage. Les treize vols avec effraction dans un local d’habitation ou tentatives de vol aggravé par ces mêmes circonstances, qui sont contestés par le prévenu, ont été commis selon un mode opératoire spécifique et strictement identique à celui des faits reconnus. Il a été retrouvé sur six sites cambriolés ou marqués par une tentative de cambriolage des traces d’oreille correspondant à celles de M. X, dont un domicile où son ADN a également été retrouvé sur la porte d’entrée. Les sept autres infractions contestées ont été commises dans des circonstances de temps et de lieux similaires, en l’espèce sur les mêmes créneaux horaires et dans les mêmes immeubles, voire aux mêmes étages. En outre, les explications de M. X apparaissent contradictoires puisqu’il a déclaré au juge d’instruction qu’il n’opérait que dans le 15e arrondissement alors qu’il a reconnu des faits commis dans de nombreux autres arrondissements. La conjonction de ces différents éléments revêt une force probante suffisante pour entrer en voie de culpabilité de l’ensemble des faits reprochés. »

Conclusion

Nous sommes convaincus du potentiel de ce type de traces et la pratique dans nos juridictions atteste de leur utilité. Les traces d’oreille sont un vecteur efficace du renseignement judiciaire par l’ établissement de séries et ceci avant même qu’une personne soit mise en cause. Puis, lorsqu’elles sont mises en relation avec les empreintes de référence d’une personne, elles apportent un indice d’association puissant dont les acteurs judiciaires ne devraient pas se priver. Il va de soi qu’il ne faut pas rechercher dans ce type d’ association des certitudes absolues, mais les rapprochements établis sont suffisants pour ajouter une nouvelle corde solide à l’arc dont dispose la police scientifique.

Note

1. Établissement d’un signalement distinctif d’un individu avec notamment la prise de clichés photographiques de face, profil et de 3/4 gauche.

Sébastien Aguilar : Technicien en chef de police technique et scientifique à la Direction régionale de la police judiciaire de Paris, MSc Sciences criminelles de l’École des Sciences criminelles de l’Université de Lausanne.

Christophe Champod : Professeur ordinaire en sciences forensiques et Directeur de l’Ecole des sciences criminelles de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique de l’Université de Lausanne.

Lectures complémentaires

1. Sébastien AGUILAR, Benoit DE MAILLARD, Police Scientifique : Les experts au coeur de la scène de crime. Hachette, éd. 2017, pp. 119-125.

2. Christophe Champod, Ian W. Evett, Benoît Kuchler, « Earmark as evidence : a critical re- view », Journal of Forensic Sciences , Vol. 46, No 6, 2001, pp. 1275-1284

3. Stéphane Junod, Julien Pasquier, Christophe Champod, « The development of an auto- matic recognition system for earmark and earprint comparisons ». Forensic Science International, 2012, Vol. 222, Issues 1–3, pp.170-178

4. C. Van der Lugt, Earprint Identification. El- sevier Bedrijfsinformatie, Gravenhage, 2001, 318 p.

5. Joëlle Vuille, « Traces d’oreille et preuve à charge : le Tribunal fédéral n’est pas sourd aux droits de la défense ». Forumpoenale. Vol. 6, 2014, pp. 347-350.

6. Lynn Meijerman, Andrew Thean, George J. R. Maat, « Earprints in Forensic Investigations », Forensic Science, Medicine and Pathology, 2005, Vol. 1, Issue 4, pp. 247-256.

Article publié dans REVUE EXPERTS n°145 – Aout 2019

Direction Régionale de la Police Judiciaire de Paris 36 rue du Bastion

Les Cold Case de la Brigade Criminelle de Paris

Interview – Alors que la Justice française s’apprête à mettre en place un pôle spécialisé dans les Cold Case à Nanterre le 1er mars 2022, le patron de la Brigade Criminelle de la Direction Régionale de la Police Judiciaire de Paris, le Commissaire Général Michel FAURY revient sur la montée en puissance de son unité spécialisée dans ces affaires non résolues. 

Pouvez-vous nous donner la définition juridique d’un “Cold Case” ?

S’il n’y a pas de définition au sens juridique du terme, on peut considérer qu’il s’agit d’une affaire dont le caractère criminel est avéré ou fortement pressenti, qui n’est judiciairement ni policièrement résolue, qui n’est pas prescrite et dont le ou les auteurs restent à identifier.

Combien de dossiers non résolus “actifs” traitez-vous au sein de la Brigade Criminelle de Paris ?

Depuis l’aboutissement récent d’une enquête ayant conduit à l’identification de l’auteur d’une série de faits commis à Paris entre 1986 et 1994, le nombre de dossiers non résolus, à la Brigade Criminelle, a un peu diminué. C’est environ 65 dossiers à ce jour dont une quinzaine qui font l’objet d’investigations régulières, en fonction des critères retenus.

Au sein de la Brigade Criminelle, avez-vous des équipes dédiées à la résolution des “Cold Case” ?

Chaque groupe de droit commun de la Brigade Criminelle conserve des dossiers anciens qui font l’objet d’investigations dès lors qu’une nouvelle piste apparaît. Pour autant, une unité spécialisée traitant de ce type de dossier a vu le jour en 2015. Elle a été fortement renforcée avant l’été 2021. Il s’agit de l’UAC3 (Unité d’Analyse Criminelle et Comportementale des Affaires Complexes). Composée de 6 personnels, elle est dirigée par un Officier très expérimenté et dispose également d’une psycho-criminologue. Elle se voit confier les dossiers criminels non élucidés les plus complexes.  

Cela dit, ce groupe n’a pas vocation à travailler exclusivement sur les « Cold Case » ; c’est une  part seulement de son activité. En effet, s’il concentre son action sur les dossiers anciens, il n’attend pas un éventuel classement sans suite, par l’autorité judiciaire, pour en être saisi. Bien au contraire, il assure ou encadre les investigations sur un temps long, afin de s’assurer que toutes les pistes ont été exploitées et que toute nouvelle information est traitée. Il joue ainsi fréquemment le rôle de conseil vis à vis de ses collègue mais également de sa hiérarchie dans le domaine qui lui est propre.

Ce qui peut présider à la prise en charge d’un dossier par cette unité est la volonté d’en garder la mémoire en dépit des mutations et ou du « turn-over » des effectifs ayant enquêté dessus. Enfin, les investigations effectuées dans la durée et la conservation du dossier au service, dans l’attente de l’exploitation d’un éventuel élément nouveau, permettent également de retarder au maximum la prescription…       

Les fonctionnaires en charge de ces affaires reçoivent-ils une formation particulière ?

Non, il n’y a pas de formation spécifique quand on intègre l’UAC3. La Brigade Criminelle recrute des femmes et des hommes disposant déjà de solides connaissances professionnelles, intéressés par la matière criminelle et volontaires pour se former dans un domaine toujours plus technique. L’UAC3 intègre des profils qui correspondent aux besoins d’une structure spécifique, tous très expérimentés et ayant fait leur preuve, qui maîtrisent parfaitement les arcanes de l’enquête criminelle. Le tutorat des anciens du groupe permet alors de formater les plus jeunes, au mieux de nos besoins.    

Par ailleurs une certaine maturité professionnelle est nécessaire pour intégrer cette unité car il faut avoir la « force » mentale de s’intéresser à des dossiers dont on n’a jamais vu la scène de crime et sur lesquels d’autres enquêteurs ont travaillé avant. En outre, une formation à l’analyse criminelle est proposée actuellement par un ancien officier de l’unité. Un enquêteur de l’UAC 3 suit cette formation poussée.

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La Brigade Criminelle de Paris en 1921 – Crédits : Direction Régionale de la Police Judiciaire de Paris.

Quelle méthodologie utilisez-vous pour avancer efficacement sur ce type d’affaires ?

La variété des dossiers fait qu’il n’existe pas de méthode prédéfinie lors de la réouverture d’une enquête. La force de l’UAC3 est d’offrir une analyse pluri-disciplinaire intégrant à la fois l’analyse comportementale, l’appui de l’outil informatique pour une analyse criminelle et la relecture de l’ensemble de la procédure par un œil neuf. Cet examen, sous des angles variés, est ponctué d’échanges entre les différents acteurs et conduit souvent à plusieurs relectures confiées à des cadres du service ou à des réservistes civils.   

On parle parfois, de manière familière, de la méthode dite « du rouleau compresseur » de la Brigade Criminelle. Elle s’applique parfaitement au traitement des cold cases dans le sens où aucune piste n’est négligée. Chaque hypothèse est étudiée jusqu’à ce qu’on estime qu’elle n’a pas de lien avec notre enquête. Ce travail peut parfois prendre des années.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées ?

Les difficultés essentielles quand on traite d’un « cold-case » sont :

  • Le manque d’éléments matériels encore disponibles quand on découvre une piste qui n’a jamais été exploitée.
  • Dans le même ordre d’idées, des aspects manquants dans les enquêtes conduites à l’époque, par exemple en matière de téléphonie (des bornages non figées par exemple)
  • La qualité des témoignages après de si nombreuses années (souvenirs altérés, décès des témoins…)
  • Une conservation des scellés souvent catastrophique, voire une destruction avant la fin du délai de prescription de l’enquête).
  • L’identification de dossiers pouvant nous être confiés mais qui n’ont pas toujours été traités par la brigade et qui nécessite donc une coopération et une vigilance de la part des autres services, afin qu’ils pensent à nous les proposer.
  • Le turn-over, aussi bien chez les enquêteurs que chez les magistrats, qui entraîne une perte de mémoire inévitable.

Comment s’organise la collaboration Police / Justice dans ces cas précis ?

La Brigade Criminelle entretient des rapports de confiance avec l’autorité judiciaire. Nos investigations s’inscrivent dans la durée lorsque cela est nécessaire et nous disposons de moyens adaptés. C’est donc généralement vers nous que se tournent les magistrats quand il s’agit de reprendre en compte un dossier ancien. Un entretien au cas par cas est privilégié. Une meilleure prise en compte des « Cold Case », à l’occasion de la création de l’UAC3, nous positionne donc idéalement, sur le ressort de la Préfecture de Police, pour être le correspondant privilégié des magistrats saisis de dossiers répondant à ces critères. On pense en particulier au futur pôle « Cold Case ».

La manière de procéder peut aussi consister en une évaluation du dossier afin de déterminer la réalité des faits avancés et la quantité de travail nécessaire et permettre ainsi de choisir le service le plus adapté. 

Par ailleurs, ces rapports de confiance favorisent l’assentiment des magistrats lorsqu’ils sont sollicités par les enquêteurs qui considèrent que de nouvelles investigations pourraient être utilement menées du fait de l’apparition d’éléments nouveaux ou de l’évolution des techniques scientifiques.

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La Brigade Criminelle de Paris en 1985 – Crédits : Direction Régionale de la Police Judiciaire de Paris.

Quels moyens avez-vous à votre disposition ?

Les moyens à disposition sont ceux de la Brigade Criminelle ; une capacité de mobilisation d’un nombre important d’enquêteurs quand cela est jugé nécessaire.

  • Une analyse des dossiers sous des angles différents (analyse de l’enquêteur et analyse comportementale) avec l’appui de l’analyse criminelle, si cela est nécessaire.
  • Un lien étroit et « historique » avec des experts reconnus dans les différents domaines techniques d’aide à l’enquête (experts en génétique, médecine légale, anthropologie, odontologie, etc…)
  • Un engagement de moyens humains dans la durée et notamment une vigilance des enquêteurs dédiés à cette mission (UAC3) qui peuvent effectuer, à tout moment, des rapprochements entre des enquêtes qui nous sont confiées et des faits traités par d’autres services.
  • La GED (Gestion Electronique de Documents) et la documentation opérationnelle qui facilitent les recherches et recoupements.

Quels sont les progrès techniques et scientifiques qui permettent la résolution des “Cold Case” ?

Aborder les « Cold Case » c’est avant tout comprendre qu’on effectue un retour en arrière qui nous conduit à disposer des moyens qui existaient au moment des faits (pas de vidéo-protection, pas de téléphonie, sauf si elle a été sanctuarisée, …).

En revanche, en ce qui concerne l’exploitation des éléments saisis sur place, à partir du moment où ils ont été conservés dans de bonnes conditions, il est possible d’envisager des investigations complémentaires dans différents domaines :

  • Progrès considérables dans le domaine de la police scientifique (génétique, parentèle,…) permettant par exemple de retravailler certains scellés dans l’optique d’extraire des traces génétiques qui n’auraient pas pu être mises en évidence par les techniques utilisées quelques années plus tôt
  • Utilisation d’outils plus performants en matière de téléphonie.
  • Utilisation d’outil d’analyse des données numériques
  • Possibilité de traiter la procédure avec l’appui de l’analyse criminelle
  • Internet / Sources ouvertes

Quelles sont les avancées juridiques majeures en France encadrant le traitement des affaires non résolues ?

Le traitement des « Cold Case » ne répond pas à des règles juridiques particulières mais s’inscrit dans le cadre de l’enquête criminelle classique. L’avancée juridique essentielle porte sur la réforme de la prescription en matière pénale du 27 février 2017.

Il est à noter également l’importance du délai de conservation au Fichier Automatisé des Empreintes Digitales (F.A.E.D.) ou au Fichier National Automatisé des Empreintes génétiques (F.N.A.E.G.) des traces non résolues ou des personnes signalisées (décrets du 2 décembre 2015 et du 29 octobre 2021).

La création d’un pôle « Cold Case » au Ministère de la Justice devrait également permettre d’identifier plus facilement des dossiers qui pourraient être relancés et d’effectuer des rapprochements.

Existe-il des collaborations internationales, des partages de
connaissances  ou compétences afin de maximiser la résolution d’une enquête ?

Il n’ y a pas, à notre connaissance, de structures internationales permettant le partage de compétences techniques ou l’échange opérationnelle dans le cadre des « Cold Case » ; pas même à un niveau européen.    

Nous disposons, dans ces dossiers des mêmes outils que pour l’ensemble des enquêtes criminelles, dès lors qu’une piste internationale voit le jour (les échanges concernant les empreintes digitales et génétiques prévus par le traité de Prüm, échanges bilatéraux par le truchement des Attachés de Sécurité Intérieure (A.S.I.), mise à contribution d’INTERPOL et d’EUROPOL, etc.)

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Exercice « attentat » diligentée par la Brigade Criminelle et le Service Régional de Police Technique et Scientifique de Paris. Crédits : Direction Régionale de la Police Judiciaire de Paris.

Quels sont les éléments qui permettent de rouvrir une enquête ?

Une enquête peut être rouverte à partir du moment où nous disposons d’éléments nouveaux susceptibles de faire avancer les investigations. Cette décision appartient exclusivement à l’autorité judiciaire mais la Brigade Criminelle est généralement force de proposition. Le progrès scientifique et les espoirs qu’il peut faire naître peut parfois être considéré comme suffisant pour obtenir cette réouverture mais, l’étude se fait au cas par cas. La mise en place du pôle judiciaire « cold-cases » devrait pouvoir peser sur l’interprétation de cette notion « d’élément nouveau ».     

L’UAC3 rencontre rarement ce type de difficulté car la plupart des dossiers non élucidés sont conservés à la Brigade et régulièrement consultés. Ils le sont aussi dans l’attente d’un élément nouveau qui pourrait être porté à notre connaissance (dénonciation, identification d’une trace ADN retrouvée sur une scène de crime suite au prélèvement d’un mis en cause dans un dossier distinct, rapprochement avec une nouvelle affaire, rapprochement avec un suspect identifié dans un autre dossier, …) mais aussi dans l’attente d’une idée neuve des enquêteurs qui pourrait relancer le dossier.

Avez-vous des cas marquants à nous citer ?

Nous pouvons citer quelques exemples :

  • Dans une affaire de viol ou de sérialité de viols, au vu du signalement et du mode opératoire de l’auteur, vous identifiez par vos recherches (via les fichiers police Cheops, Salvac.. ) un suspect potentiel. Vous demandez par rapport à l’Autorité judiciaire la ré-ouverture de l’information, l’élément nouveau étant l’identité du suspect. Même raisonnement lorsque vos recherches amènent à vous intéresser à un autre dossier dont les éléments d’enquête ne sont guère éloignés du vôtre. Vous justifiez de l’intérêt (secteur géographique, type de victime, modus operandi, arme utilisée..) et vous sollicitez la ré-ouverture de l’autre dossier
  • L’examen d’une scène de crime au vu des photographies judiciaires, des constatations techniques, de l’analyse morphologique des traces de sang, vous amène à penser que la personne n’a pas été tuée là où le cadavre a été découvert mais dans une autre pièce du logement. Les objets ou éléments proches saisis et placés sous scellés n’ayant pas fait l’objet d’expertise, vous solliciter la ré-ouverture en justifiant de l’intérêt de l’expertise de  la (ou des) pièce à conviction proche de la vraie scène de crime..   
  • La découverte d’une pièce à conviction tardive. En vidant le logement d’une personne assassinée, le témoin découvre incidemment sous le tapis de la salle de séjour dans une cavité du plancher un couteau manifestement souillé. L’élément nouveau propre à la ré-ouverture est tout trouvé.

Est-il plus éprouvant de travailler sur un “Cold Case” que sur une affaire récente ?

S’il est difficile de répondre à cette question, il est indéniable que le travail visant les dossiers anciens nécessite des qualités particulières et se heurte à des difficultés spécifiques. Il faut être extrêmement patient car, contrairement à l’enquête de flagrant délit qui peut aboutir parfois à un résultat rapide, le « Cold Case » nécessite des investigations longues et complexes (rassembler les éléments constitutifs du dossier, retrouver les témoins, être confronté à des témoignages moins précis, rechercher des scellés). Travailler sur des « Cold Case », c’est se replonger dans les méthodes et les moyens dont disposaient les enquêteurs à l’époque des faits, très différents des méthodes actuelles (pas de téléphonie, pas de vidéo-protection, pas d’empreinte numérique,…).

Quant à l’exploitation des éléments collectés sur la scène de crime – qui peuvent avoir traversé le temps – elle se heurte au problème de conservation des scellés et, plus largement, de certains éléments du dossier qui ont  été égarés.      

Il est également plus difficile de reprendre une affaire qu’un autre service ou un autre groupe n’a pas été en mesure de résoudre. Les enquêteurs doivent faire preuve d’une motivation sans faille et d’une bonne dose d’optimisme…. 

Enfin, l’aspect charge mentale doit également être prise en compte, et peut prendre différentes formes : les faux espoirs et la déception qui s’ensuit lorsqu’une piste sérieuse s’avère finalement mauvaise ; la frustration de ne pas pouvoir apporter de réponses à la famille, …

Quelles sont les erreurs à éviter lorsque l’on travaille sur ce type d’affaire ?

Il s’agit d’essayer de faire table rase des investigations menées précédemment afin de ne pas être « pollué » par les pistes et hypothèses envisagées par les premiers enquêteurs. S’il est assez peu probable que les nouveaux enquêteurs n’aient pas la même approche ou la même analyse que leurs prédécesseurs, il est impératif qu’ils évitent de se forger une opinion trop rapidement et qu’ils acceptent d’explorer toutes les hypothèses.

Quelles sont selon vous les qualités indispensables d’un enquêteur pour travailler sur ces affaires non résolues ?

Il faut choisir des enquêteurs expérimentés et légitimes aux yeux de leurs collègues et de l’autorité judiciaire. La patience et le sens de l’organisation sont également indispensables puisqu’il faut s’immerger dans un dossier généralement lourd et complexe, traité par d’autres que soi et, il faut le faire avec méthode en associant différents acteurs et partenaires de l’enquête criminelle (experts, psychologues, enquêteurs extérieurs, etc…)   

Il faut parfaitement maîtriser tous les arcanes de l’enquête criminelle et l’écosystème qui s’y rattache afin de savoir « ce qu’on doit chercher et où le chercher… » . Enfin il faut savoir faire preuve d’humilité.

La thanatologie médico-Légale

La thanatologie médico-légale consiste en l’étude des signes cadavériques visibles sur un corps depuis le décès de l’individu jusqu’à l’issue de sa squelettisation.

Issu du grec ancien thanatos « Dieu de la mort » et logos  « science », la thanatologie serait née en 1903 d’un esprit russe, le bactériologiste et médecin Elie METCHNIKOV, même si la littérature scientifique en accorde aussi la paternité aux Chinois.

Balbutiante dans la première moitié du XXème siècle, les horreurs de la guerre ont vu la thanatologie se développer vers 1950. Depuis, elle est devenue une discipline universitaire. Portée en France par l’enseignant Louis Vincent THOMAS, grand spécialiste d’anthropologie et de sociologie, ce dernier a publié nombre d’essais sur la thanatologie, comme lien entre la vie et la mort. Par ses écrits il a démystifié le passage à trépas en encourageant la pratique de la thanatologie comme source d’enrichissement de connaissances du corps humain.

Pluridisciplinaire, la thanatologie regroupe entre autres, la médecine légale, la biologie, et l’anatomie. Reposant sur des publications scientifiques et des observations empiriques, il est apparu que la thanatologie est elle-même évolutive, fonction des modes de vie, de l’évolution des civilisations, jusqu’à ses moindres détails tels que les habitudes alimentaires du défunt.

Dès le passage à trépas, nombre de modifications post mortem apparaissent sur le corps et se manifestent par des signes positifs visibles ou, négatifs, de par leur absence.
Aussi, le cadavre doit faire l’objet de toutes les attentions.
A chaque mort suspecte, l’exercice de la thanatologie aide l’enquêteur et le praticien légiste à dater le décès, deviner les derniers instants du vivant du sujet et approcher les causes de la mort.

En matière judiciaire, les objectifs de la thanatologie sont donc multiples : évaluation du délai post mortem, coïncidence de la position du corps au moment du décès et au moment de sa découverte, compatibilité temporelle avec de prétendus témoins … L’observance systématique du sujet décédé permet de donner des indices thanatologiques, de répondre à des abaques mathématiques préalablement établies  comme le nomogramme de Henssge ou la table de Vibert, : thanatologues précurseurs. Henssge a permis de créer un système d’équations lié au refroidissement du corps. Lorsque l’enquêteur obtient la température ambiante, la température du défunt et la température au moment des faits, ces trois données intégrées dans son nomogramme fixent un créneau horaire de décès.

Qu’il s’agisse du refroidissement cadavérique, des lividités (livor mortis)  ou de la rigidité (rigor mortis) le défunt nous livre d’amples renseignements qui orientent la Police Scientifique vers l’hypothèse d’un meurtre, d’un suicide ou d’une mort naturelle. Les lividités correspondent au sang contenu dans le corps humain, qui, sous l’effet de la gravité va rejoindre les zones déclives du corps, les parties les plus proches du sol, colorant ainsi les tissus cutanés d’une teinte violacée.

Un corps découvert pendu qui présenterait des lividités exclusivement sur sa partie supérieure insinuera une simulation de suicide puisque les lividités auraient dû, majoritairement, se situer sur les membres inférieurs de la victime. Le phénomène de rigidité provoque une grande raideur du corps qui apparait à partir de la deuxième heure suivant le décès et perdure jusqu’à trois jours environ après la mort. À l’issue, le cadavre retrouve sa souplesse. Un corps rigide est donc incompatible avec une mort supposée dater d’une semaine, ce qui peut valider ou invalider un témoignage ou l’alibi d’un suspect.

La thanatologie doit impérativement être mise en pratique sur les scènes de crime car elle permet de confondre des témoignages ou de valider une hypothèse criminelle.

Les signes précoces de la mort précités constituent un bon indicateur.

Le refroidissement cadavérique également. Le cadavre devient froid puisqu’il subit un phénomène d’hypothermie irréversible, dès le décès, lui faisant perdre environ 1 degré par heure. Ces facteurs cumulés et constatés peuvent donc, déjà, sur les lieux, donner une idée du délai post mortem avant même que l’enquête policière ne débute.

Les phénomènes thanatologiques subissent aussi l’influence de la nature du décès.  Selon qu’il s’agisse d’une pendaison, d’un décès par arme blanche, ou d’une noyade, les signes cadavériques seront distincts et apporteront une aide précieuse à l’enquête, notamment lorsque le corps est abîmé ou putréfié.

Sur la scène de crime, l’observation des plaies in situ permettra de conforter des hypothèses comme celle d’un tir par arme à feu de courte distance si la peau présente un orifice cutané cerné d’une zone de tatouage. La plaie balistique saura aussi nous renseigner, dès la scène de crime, sur la trajectoire de tir, la position de la victime et de son meurtrier au moment des faits.
La thanatologie s’intéresse aussi aux modes d’autolyse des corps, comme la putréfaction, la saponification ou la momification.
Si le terme générique est «  décomposition », il est des facteurs environnants qui influent sur le mode de destruction du corps.
En climat tempéré, en conditions dites normales le corps se putréfie. Exceptionnellement et seulement en cas d’environnement très chaud et sec, une momification se produit. Physiquement le corps s’apparente à un squelette mais la momification le fige à jamais dans un état où le sujet dispose encore un peu de tissus cutanés, aux nuances ocre. Dans ce cas présent, les organes ne sont pas décomposés mais juste desséchés, tels que lyophilisés.

Enfin, la saponification reste rare. Elle vise les sujets ayant séjourné à compter du décès dans une atmosphère riche en bactéries, au taux d’hygrométrie élevé donnant ainsi au corps un aspect cireux, les graisses ayant été transformées en substance savonneuse.

L’étude thanatologique permet de se rendre compte de l’importance et de l’influence de l’environnement du cadavre lors de sa décomposition (température ambiante, taux d’humidité, mode de conservation de la dépouille mais aussi l’influence des conditions du vivant de la victime : son mode de vie, habitudes médicamenteuses, pathologies médicales, organisme, corpulence,..) En effet, il est des facteurs qui interagissent sur l’autolyse du corps. Certains accélèrent le processus de décomposition, d’autres le ralentissent.

Parmi eux, la chaleur qui devient un agent accélérateur de tous les phénomènes cadavériques. Lors de la canicule de 2003, les corps dont le décès remontait à quelques heures avaient l’apparence de dépouilles datant de deux semaines.
Au lieu de faire face à des corps rigides, ne dégageant aucun relent, les victimes étaient déjà décomposées, présentant des emphysèmes abdominaux importants, un effluve méphitique, caractéristique de l’odeur dégagée par la putréfaction à son paroxysme. Les médicaments jouent aussi un rôle à titre posthume ; l’ingurgitation chronique et vitale de substances toxiques entraîne une flore intestinale bactérienne abondante, ce qui accélère le phénomène de putréfaction. A contrario, une température ambiante très basse, ralentit la décomposition. Une dépouille découverte en extérieur, par un hiver rigoureux conservera une apparence humaine pendant de nombreux jours. Le froid atténuant largement la nécrose du corps.

La thanatologie s’immisce aussi en salle d’autopsie lors de l’examen externe et interne du corps et lors des prélèvements autopsiques. Le médecin légiste effectue sa propre analyse thanatologique. L’examen interne lui permet d’étudier les organes, de mettre à jour des pathologies jusqu’ici indécelables, d’observer des plaies jusqu’ici invisibles. Le praticien  prélèvera 20 grammes de chaque viscère, et quelques centilitres de chaque liquide (urée, bile, sang..) pour analyse ultérieure comme le  taux de toxicologie ou d’alcoolémie. Même le devenir du corps, selon qu’il s’agisse d’une inhumation, d’un embaumement ou d’une crémation va nous livrer des éléments sur la décomposition d’un corps. Ainsi, la thanatologie permet d’alimenter les écrits sociologiques, anthropologiques  ou théologiques.

Véritable science, la thanatologie est en constant progrès. Demain, d’autres signes cadavériques nous aideront à être encore plus précis quant à l’heure de la mort, quant aux exactions commises par un meurtrier. Aujourd’hui nous nous basons principalement sur les signes visibles à l’œil nu mais la macroscopie ne suffit plus. Désormais, les scientifiques s’orientent vers des indices intracorporels comme la dégradation de l’hémoglobine ou des scanners de type angiographie qui pourraient révéler d’autres indices utiles à l’enquête criminelle. La mort met fin au système circulatoire, le sang encore présent et stagnant va subir une dégradation de ses globules rouges et blancs, de son hémoglobine. Cette nécrose sanguine invisible de manière macroscopique le sera grâce à une méthode d’imagerie et de prélèvements sanguins. Ce bilan hématique permettra, à rebours, d’approcher au mieux la datation de la mort.

Pour ce faire, les avancées médico-légales, les constatations forensiques , les levées de corps sur les scènes de crime ou les expériences de « la ferme aux corps » aux États-Unis n’ont de cesse de perfectionner le champ d’action de la thanatologie médico-légale.
Source inépuisable puisqu’à ce jour, il existe encore des autopsies blanches, à savoir dont l’examen du corps ne permet pas d’énoncer la cause de décès.
Nul doute que la thanatologie est loin d’avoir livré tous ses secrets.