Le chimérisme a depuis longtemps quitté le domaine de la mythologie pour celui de la science. Et il est plus que jamais une réalité humaine par le biais notamment des greffes d’organes ou de moelle osseuse.Un Être humain, un ADN, telle était la réalité qui s’imposait aux scientifiques depuis des siècles. Avec les progrès de la recherche médicale, voilà ce principe essentiel totalement bouleversé, comme l’illustre le cas de Chris Long.
Quand l’ADN brouille les pistes.
Cet américain atteint d’une leucémie myéloïde aigüe, avait reçu une greffe de moelle osseuse provenant d’un donneur européen inconnu. Cette procédure permet aux cellules hématopoïéiques (ou cellules sanguines) du donneur de remplacer les cellules sanguines non fonctionnelles du receveur. Rien d’étonnant, donc, de retrouver un ADN étranger dans le sang de la personne greffée !
Dans l’affaire Chris Long, toutefois, La surprise est totale quand les analyses effectuées quatre ans après la greffe, mettent en évidence que son liquide séminal contient uniquement l’ADN du donneur, en l’occurence celui d’un jeune allemand. D’autres parties de son corps comme les joues, la langue et les lèvres renferment les deux ADN alors que ses cheveux ne contiennent que son propre ADN. Les spécialistes se trouvent face à un cas de chimérisme, un terme qui désigne une personne porteuse de deux patrimoines génétiques différents.
Une anomalie de la nature.
Le phénomène est extrêmement rare. On dénombre en effet une centaine de cas de chimérisme dans le Monde. Mais cette anomalie apparue dans le cadre d’une intervention médicale en ce qui concerne Chris Long, peut également survenir lors d’un incident dans un processus naturel. Dans le cas d’une grossesse gémellaire dizygote, c’est à dire comportant deux embryons issus d’une double fécondation, il peut arriver que les deux œufs fusionnent à un stade très précoce de leur développement. L’embryon restant se constitue alors à partir de cellules provenant des deux œufs et il porte par conséquent les deux ADN.
La plupart du temps, le chimérisme touche certains organes ou parties de son corps ou encore certaines cellules comme ceux du groupe sanguin. Une curiosité génétique dont a été victime un autre américain en 2015 : des tests ADN prouvaient que son fils était également son neveu ! Un mystère vite levé car on s’est aperçu que le père possédait en réalité deux ADN, le sien et celui de son jumeau qui ne s’était jamais développé in utéro.
Un cas d’école pour la police scientifique.
Si le chimérisme est encore peu identifié (il est souvent mis en évidence lors d’un diagnostic prénatal) c’est parce qu’il est sans conséquence pour la personne qui en est atteinte. Cela n’empêche pas les spécialistes de s’y intéresser, la médecine légale comme la police scientifique. En l’espace de quelques années, L’ADN est devenu un atout maître dans le cadre des investigations visant à résoudre nombre d’affaires criminelles.
Le chimérisme pourrait changer la donne. En effet, si dans le cadre d’un crime sexuel, l’ADN retrouvé provenait d’une personne ayant subi une greffe de moelle osseuse, n’y aurait-il pas le risque d’incriminer un donneur innocent? Faudra-t-il désormais prélever de l’ADN sur plusieurs parties du corps afin d’éviter des erreurs d’identification aux conséquences dramatiques ? Autant de questions à résoudre et un nouveau cas d’école que les procédures scientifiques devront désormais prendre en compte.
Chaque année, les services de police scientifique de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale révèlent plusieurs centaines de milliers de traces digitales, traces palmaires et même plantaires sur de nombreux supports liés aux centaines de milliers d’infractions délictuelles ou criminelles (vols avec effractions, vols de véhicule, trafics de stupéfiants, vols à main armée, viols, homicides, attentats, etc.)
Cet indice matériel permet depuis l’affaire Francisca Rojas en 1892 en Argentine (1) et l’identification d’Henri-Léon Scheffer en 1902 par Alphonse Bertillon (2) en France, de confondre les auteurs d’infractions grâce aux traces latentes qu’ils laissent derrière eux sur les lieux de leurs méfaits.
La pratique internationale concernant l’identification dactyloscopique n’est pas uniformisée. En France, pour pouvoir identifier une trace papillaire révélée sur une scène de crime à une empreinte papillaire relevée sur un individu suspect, les experts en criminalistique s’appuient sur deux approches :
L’approche du standard numérique de 12 points
L’approche probabiliste ou holistique
Depuis près de 100 ans, la vision binaire de l’identification dactyloscopique via « le standard des 12 points » cède peu à peu la place à un continuum de conclusions. En fonction de la quantité mais également de la qualité des points caractéristiques présents sur la trace incriminée, une échelle numérique et verbale d’évaluation de rapprochement est utilisée permettant de tendre plus ou moins fortement en faveur de l’identification ou de l’exclusion.
Cette approche probabiliste n’est pour le moment utilisée que lors d’expertises dactyloscopiques complexes. Le standard numérique de 12 points étant appliqué en routine en France, découvrez notre vidéo sur l’exploitation et la comparaison des traces papillaires.
Modification de l’Article 55-1 du Code de Procédure Pénale
Au cours d’une enquête de flagrance, l’article 55-1 du Code de Procédure Pénale prévoit expressément la possibilité, au cours de l’enquête judiciaire, de procéder, sur toute personne concernée par la procédure, à des opérations de prélèvements. Ces derniers peuvent se révéler nécessaires à la réalisation d’examens techniques et scientifiques de comparaison avec les traces et indices prélevés dans le cadre d’une enquête. Sous quelles conditions ces prélèvements sont-ils effectués ?
Que prévoit l’article 55-1 du CPP ?
L’officier de police judiciaire peut procéder, ou faire procéder sous son contrôle, sur toute personne susceptible de fournir des renseignements sur les faits en cause ou sur toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre l’infraction, aux opérations de prélèvements externes nécessaires à la réalisation d’examens techniques et scientifiques de comparaison avec les traces et indices prélevés pour les nécessités de l’enquête.
Il procède, ou fait procéder sous son contrôle, aux opérations de relevés signalétiques et notamment de prise d’empreintes digitales, palmaires ou de photographies nécessaires à l’alimentation et à la consultation des fichiers de police selon les règles propres à chacun de ces fichiers.
Le refus, par une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, de se soumettre aux opérations de prélèvement, mentionnées aux premier et deuxième alinéas ordonnées par l’officier de police judiciaire est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Dans la décision n° 2003-467 DC, le Conseil constitutionnel a jugé, au sujet de l’article 30 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure « que l’expression “prélèvement externe” fait référence à un prélèvement n’impliquant aucune intervention corporelle interne ; qu’il ne comportera donc aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des intéressés ; que manque dès lors en fait le moyen tiré de l’atteinte à l’inviolabilité du corps humain ; que le prélèvement externe n’affecte pas davantage la liberté individuelle de l’intéressé » (cons. 55).
La prise d’empreintes sous contrainte :
L’article 30 de la Loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure complète l’article 55-1 de Code de Procédure Pénale par l’alinéa suivant :
« Sans préjudice de l’application du troisième alinéa, lorsque la prise d’empreintes digitales ou palmaires ou d’une photographie constitue l’unique moyen d’identifier une personne qui est entendue en application des articles 61-1 ou 62-2 pour un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement et qui refuse de justifier de son identité ou qui fournit des éléments d’identité manifestement inexacts, cette opération peut être effectuée sans le consentement de cette personne, sur autorisation écrite du procureur de la République saisi d’une demande motivée par l’officier de police judiciaire. L’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, un agent de police judiciaire recourt à la contrainte dans la mesure strictement nécessaire et de manière proportionnée. Il tient compte, s’il y a lieu, de la vulnérabilité de la personne. Cette opération fait l’objet d’un procès-verbal, qui mentionne les raisons pour lesquelles elle constitue l’unique moyen d’identifier la personne ainsi que le jour et l’heure auxquels il y est procédé. Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à l’intéressé. »
Enfin un site français qui souhaite promouvoir, outre la fiabilité des résultats par l’acceptation de la remise en question des savoirs et vérités énoncés par les « experts » (ce qui correspond assez bien à notre esprit critique « bien français »),l’émergence d’une science nouvelle : la science « forensique », qui traite des inférences à partir de l’étude des effets pour en approcher la cause . Nous ne nous verrons donc pas assener des dogmes, des querelles technologiques ou des axiomes sur ce site, qui, bien au contraire ,contribuera à notre éveil d’une pensée « forensique » ouverte à la société, la critique et résolument moderne et universelle dans sa déclinaison technique.
Afin d’accompagner le lecteur de ce site, il est impératif de déterminer les termes employés par les « experts » travaillant à la recherche de la vérité au procès dans le système judiciaire. Car si le droit, la marine ou encore la médecine ont leur vocabulaire propre, les scientifiques ont le leur, , dont l’emploi et la précision sont nécessaires à la compréhension de leurs résultats ou démonstrations. L’absence de biais dans l’énoncé des résultats et la clarté linguistique des conclusions contribuent largement à l’acceptation de la décision judiciaire ou du « droit de punir » qui relève de la Justice dans nos sociétés.
Ainsi, il est indispensable de distinguer la « criminologie », qui se préoccupe du phénomène social qu’est le crime, de la « criminalistique » qui est l’usage de méthodes scientifiques, appartenant aux domaines des sciences exactes, permettant d’étudier/évaluer les traces trouvées sur des scènes d’infraction. Le code de procédure pénale parle quant à lui « des opérations de police technique et scientifiques » au travers son article D.7, de manière à ne pas distinguer entre la détection des traces, leur relevé, leur conservation ou leur exploitation. Ces spécialités ne seront pas traitées directement dans cet article. Nous aborderons le domaine des « sciences forensiques » représentant la déclinaison pratique de toutes les sciences «exactes» dans la recherche de la vérité au procès pénal, sciences forensiques qui doivent éclairer le juge dans sa prise de décision. Pour illustrer ce propos, je dirais que si la position des astres avait une importance dans la résolution d’un crime, les sciences forensiques engloberaient aussi l’astrophysique, mais pas l’astrologie.
Naturellement nous aboutirons à l’émergence de la science « Forensique » au singulier, afin de démontrer que, désormais, du fait des nombreux travaux de théorisation quant à l’étude des effets pour déterminer les causes, le raisonnement et les techniques employées lors de cette approche de la scène d’infraction, l’ensemble des sciences et techniques employées est devenue une science à part entière : « forensique », ouverte à l’histoire, l’économie et l’innovation, mais aussi l’évolution et la critique intrasèque et ne se cantonne plus à la simple application d’une autre science (physique, chimie, génétique …) au domaine judiciaire de l’exploitation de l’indice. Ainsi, comme pour les autres sciences, des revues à comité de lecture spécifiques à la science forensique ce sont fait jour.
A partir du moment où la justice a souhaité effectuer une recherche de la vérité, par la démonstration, et non pas en s’appuyant sur un jugement divin (ordalies), elle s’est appuyée sur des sachants dans les domaines concernés, afin de l’éclairer. Dans le cadre de la procédure inquisitoire, dés le quinzième siècle, sages-femmes, chirurgiens ou médecin seront requis par la justice pour déterminer la nature d’un crime, d’un infanticide, l’examen d’un corps pour déterminer l’heure de la mort, la nature des blessures, leur morbidité ou afin de déterminer l’arme utilisée. C’est ainsi que, au regard de la variété des crimes, tous les corps de métier ont rapidement été dit « requis », tel le notaire pour les fausses écritures, l’orfèvre pour les faux bijoux, le charpentier pour les effractions, avant que le développement des sciences par domaines à la fin du 19eme siècle offre des compétences de plus en plus pointues, chimies, toxicologie, physique et même mathématiques lors par exemple du procès Dreyfus. Désormais ce sont des experts organisés en compagnies qui œuvrent au profit des magistrats dans quasi tous les pays du monde.
Plus la justice recherchera de la précision pour sa prise de sa décision, plus elle sollicitera des experts afin d’éclairer son jugement et établir la causalité morale ou matérielle des infractions. La France aura une place particulière, au sein de la communauté forensique mondiale, du fait de la théorisation, au début du vingtième siècle, par le Docteur Edmond LOCARD[1] de cette approche spécifique de la scène de crime, par cet énoncé d’un principe fondamental: « nul ne peut agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser des marques multiples de son passage. Tantôt le malfaiteur a laissé sur les lieux les marques de son activité, tantôt par une action inverse, il a emporté sur son corps ou sur ces vêtements les indices de son séjour ou de son geste ». Cet énoncé limpide implique la recherche des traces par les enquêteurs sur les scènes d’infraction afin de matérialiser l’infraction et en rechercher l’auteur.
Un second principe essentiel aux sciences forensiques est énoncé par Paul Leland KIRK (1902 – 1970) : « Tout objet de notre univers est unique. Deux objets d’origine commune peuvent être comparés et une individualisation prononcée si ces objets sont d’une qualité suffisante permettant l’observation de l’individualité ».
Ainsi, lorsque vous associez ces deux principes fondamentaux vous arrivez à la démonstration scientifique de l’individualisation de la trace et possiblement de l’auteur ou du lieu à partir des traces relevées sur une scène de crime. Les experts criminalistes n’auront de cesse de retrouver ces traces individualisantes, qui de nos jours sont parfaitement illustrées par la recherche des traces biologiques laissées par un auteur sur une scène de crime, afin d’en retrouver le propriétaire unique.
De fait nous pouvons poser le constat que la criminalistique recherche et exploite les traces et indices découverts sur les scènes d’infraction en partant du principe que l’étude des effets permettra de remonter aux causes en appliquant le premier principe stipulant que tout contact laisse une trace et le second que toute trace est individualisante, associés au fait que deux phénomènes aléatoires ne laissent jamais exactement les mêmes traces. Néanmoins, cela mérite une attention toute particulière pour celui qui aura à interpréter les résultats, tant les traces découvertes par l’enquêteur, et qui seront celles qu’il recherche[2], ne reflètent pas toutes les traces présentes, ni donc tous les effets pour toutes les causes possibles.
La démarche holistique de l’étude des traces stimule le domaine de l’innovation, ainsi les industriels n’auront de cesse de développer des techniques permettant de mieux les détecter (crimescope[3] dans les années 80), de mieux prélever des indices à haute valeur informative comme les traces génétiques (écouvillons dans les années 2000), de récupérer des indices numériques qui ne se voient pas (capteurs d’ondes (IOT) dans les années 2010) et, actuellement, le développement des capteurs d’odeurs qui seraient laissées par un délinquant portant masque et gants (empreinte olfactive[4]). Toutes ces nouvelles capacités sont désormais à disposition de toutes les unités de police scientifique dans le monde. Les laboratoires de sciences forensiques quant à eux utilisent des équipements analytiques de plus en plus sensibles, de plus en plus spécifiques et de plus en plus rapides, aux résultats de plus en plus complexes à interpréter, nécessitant l’intervention de professionnels de très haut niveau..
Lorsque l’on cumule toutes les données offertes par l’exploitation de tous ces indices, il devient indispensable de bénéficier de l’aide d’outils d’intelligence artificielle, ou de « data mining » qui deviennent un préalable à la compréhension, la contextualisation et donc à l’exploitation de l’ensemble des données issues d’une affaire judiciaire. La lecture d’un dossier judiciaire moyen d’environ 1000 pages dans les années 80 (analysable par une personne) s’est transformée actuellement en l’exploitation de giga octets de données sous forme de texte, d’images, d’enregistrements, de log de connexion, de sons et de résultats analytiques divers et multiples très spécialisés. De plus chaque indice possède un poids dans la démonstration (Interprétation Bayesienne), qui peut changer selon le contexte de sa découverte. Ainsi une trace d’ADN retrouvée sur un mégot (qui peut être transporté) n’aura pas la même valeur que cette même trace ADN retrouvée sur le couteau retrouvé dans le dos d’une victime. Dans le domaine forensique on mathématise cette valeur (poids) relative des indices par le théorème de Bayes qui permet de déterminer la probabilité qu’un évènement arrive à partir d’un autre évènement qui s’est réalisé, à condition que ces deux évènements soient interdépendants. Nous retrouvons donc notre recherche de l’inférence par l’étude des effets pour en comprendre les causes.
Seul l’emploi d’outils réalisant automatiquement des liens relationnels au sein d’un dossier, le calcul de réseau bayesien appréciant la valeur de chaque indice, d’annotateurs contextualisant un mot dans une phrase ou détectant des incohérences temporelles ou géographiques entre les déclarations, ou capables de retrouver une image dans des bandes vidéos permettra de comprendre le dossier, de resituer un évènement, en deux mots de « pouvoir juger ». La création d’outils dont les algorithmes sont maîtrisés et dont on a exclu les biais cognitifs des concepteurs sont actuellement en cours d’évaluation dans les laboratoires des sciences forensiques.
La captation de toutes ces traces présentes, sous toutes les formes que la technique nous autorise, leur positionnement dans un espace numérique reconstituant la scène d’infraction permet de disposer dès aujourd’hui d’un outil qui permet la visualisation de ces scènes d’infraction (le jumeau numérique). Mais bien au-delà d’une simple scène animée sous forme d’une réalité augmentée, c’est l’arrivée du « métavers », associant tous les outils numériques précédemment décrits, qui va conduire un changement de paradigme. Ainsi un « métavers » à même de reproduire les lois naturelles (tous les phénomènes physiques de l’univers réel) de la trajectoire d’un projectile, la chute d’un corps, l’explosion d’une bombe et la projection des fragments, jusqu’à la reconstitution d’éclaboussures de sang, nous permettra de rejouer des scenarii, d’émettre des hypothèses et de les confronter dans un aller retour théorique effet/cause qui nous proposera des déroulements de faits, voire qui nous réorientera sur les traces à trouver, ou qui nous signalera l’incohérence de la découverte de certaines traces. Le fait d’associer ces métavers à des lois probabilistes permettra aux enquêteurs et magistrats de disposer d’un score classant une hypothèse comme plus probable qu’une autre au regard des traces retrouvées. La capacité à traiter des quantités de données gigantesques, couplées à l’usage d’algorithmes d’intelligence artificielle, à même de proposer et de rejouer des hypothèses et des scenarii, de les simuler et ensuite d’en étudier les effets afin de les confronter et les rapprocher progressivement (mathématiquement) des traces relevées sur la scène d’infraction, représente l’ultime étape de la compréhension d’un évènement qui doit permettre au magistrat de s’approcher au mieux de la réalité des faits qui se sont déroulés.
La science « forensique », qui à partir de milliers de données relevées dans le présent, cherche à comprendre le passé, ouvre un champ d’analyse critique qui permet d’irriguer l’ensemble de la pensée de notre société. L’économie de marché, l’urbanisation, l’environnement ou une pandémie soulèvent les mêmes problématiques du « pourquoi » d’une situation afin de pouvoir s’adapter. La science « Forensique », dans sa recherche d’une vérité judiciaire au procès, a su théoriser et se doter d’outils afin de comprendre ce pourquoi et de proposer un « comment » à l’aide d’outils développés par les enquêteurs et les scientifiques judiciaires.
Références
[1] Edmond Locard (1877-1966) est l’auteur d’un Traité de police scientifique en sept volumes. Cet ouvrage propose une méthodologie de cette nouvelle science et sert même à l’heure actuelle de base à tous les laboratoires de police scientifique du monde. Ce traité comprend une étude, entre autres, de l’enquête criminelle, des preuves de l’identité, des empreintes et de l’expertise de documents écrits
[2] “L’oeil ne voit dans les choses que ce qu’il y regarde, et il ne regarde que ce qui est déjà dans l’esprit” Devise attribuée par Lacassagne à Bertillon (Niceforo, 1907)
[3] Crimescope : éclairage multispectral permettant de sélectionner des longueurs d’onde spécifique de certaines traces (fibre, sang, etc..) et donc de les repérer dans un environnement où elles étaient non visibles à l’oeil nu.
Le Lieutenant-colonel Pham-Hoai a été chef du département biologie de l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale et expert en empreintes génétiques près la Cour d’Appel de Versailles. Parmi ses affaires les plus emblématiques en tant qu’expert, il a traité avec son ancienne équipe les analyses génétiques des violences commises en marge du décès d’Adama Traoré en 2016 et le véhicule de Nordhal Lelandais dans le cadre de l’enlèvement et du meurtre de Maelys de Araujo en 2017. Avant de devenir expert, il s’est fait connaître pour son action originale dans la résolution du meurtre d’Élodie Kulik. Le lieutenant-colonel Pham-Hoai revient sur cette initiative où la recherche en parentèle a permis l’élucidation de cette enquête au long cours.
Le contexte d’une affaire criminelle
Dans la nuit du 10 au 11 janvier 2002, Élodie Kulik, 24 ans, est victime d’un accident de la route à proximité de Péronne (Somme). Juste avant son calvaire, la victime réussit à appeler les secours. Sur la bande sonore, deux voix masculines sont entendues. Élodie Kulik est ensuite violée puis tuée dans une déchetterie végétale près du lieu de l’accident. Ses bourreaux mettent le feu à sa dépouille sur sa partie supérieure. Le corps semi-calciné de la victime est découvert au matin le 12 janvier 2002 par un agriculteur. La Gendarmerie est saisie des faits et débute son travail de police scientifique. Sur le corps de la jeune victime et sur un objet près de celui-ci, un même profil génétique masculin est déterminé et enregistré au sein du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Personne ne correspond au profil génétique issu de la scène de crime (trace). Or, en 2002, le fichier n’en est qu’à ses débuts. Le nombre de suspects y figurant est encore faible. Les gendarmes de la section de recherches d’Amiens vont alors se lancer dans des opérations de prélèvement aux fins d’analyse génétique de tous les hommes pouvant intéresser l’enquête. Les délinquants sexuels non encore fichés tout comme les individus poursuivis par la clameur publique ou désignés par un simple appel anonyme sont prélevés, sans succès.
En juillet et août 2002, deux autres jeunes filles, Patricia Leclercq et Christelle Dubuisson, sont assassinées en Picardie. Il est établi que Patricia Leclercq a été violée avant d’être tuée. Pour ces deux derniers meurtres, un profil génétique masculin différent de celui retrouvé dans l’affaire Kulik est déterminé. Il ne correspond également à personne au sein du FNAEG. Ce nouvel indice génétique renforce l’idée qu’au moins deux tueurs en série sévissent en Picardie contre les jeunes filles. La presse est déchaînée, l’émotion est à son paroxysme au sein de la région. En septembre 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, reçoit les familles de trois victimes pour les assurer de son soutien. Des moyens supplémentaires sont donnés, les enquêteurs sont surmotivés et poursuivent leurs opérations de prélèvements aux fins d’analyse génétique de tous les suspects. Ils identifient par ce moyen Jean-Paul Leconte, le meurtrier de Patricia Leclercq et Christelle Dubuisson. Il s’avère néanmoins que Leconte était emprisonné en janvier 2002 et n’avait pas bénéficié de permission de sortie. Dès lors, il est écarté comme suspect du viol et du meurtre d’Élodie Kulik.
Malgré cette effervescence médiatique et ce malheureux concours de circonstances, le véritable enjeu pour les enquêteurs est avant tout humain. La famille d’Élodie Kulik a déjà été durement éprouvée par la vie. Ses parents ont en effet perdu deux enfants dans un accident de la route au milieu des années 70. Malgré ce drame, le couple a décidé de fonder à nouveau un foyer quelques années plus tard, en donnant naissance à Élodie et Fabien. Le meurtre d’Élodie est alors l’épreuve de trop pour sa mère qui tente de se suicider. Son acte la conduira à un coma végétatif de neuf années avant son décès en 2011. Jacky Kulik, le père d’Élodie, transforme son désespoir en énergie pour que le meurtre de sa fille soit élucidé. Il mobilise des soutiens, les médias, organise des marches blanches pour éviter l’oubli. Il va jusqu’à promettre une récompense à quiconque apportera un renseignement permettant d’arrêter les criminels.
Une du journal Courrier Picard – Traquenard sur la départementale. Crédits : France 3 Nord Pas de Calais
Les enquêteurs vont persévérer dans leurs efforts, prélevant ainsi plus de 5000 personnes jusqu’en 2010. Aucune d’entre elles ne présente un profil génétique identique à celui de la trace. Dans le même temps, aucun renseignement ne permet d’identifier le second suspect entendu sur la bande sonore en l’absence de son profil génétique. Plusieurs enquêteurs et juges d’instruction se succèdent sur l’affaire. L’enquête est alors dans une impasse.
Dès lors, comment un jeune capitaine de Gendarmerie, scientifique de formation, qui débute dans le domaine de la police judiciaire peut-il aider ?
Un œil neuf se pose sur le dossier Élodie Kulik
Affecté au sein de la section de recherches en 2009, j’y arrive avec deux masters 2 en poche, le premier en ingénierie de la santé et le second en biologie moléculaire. Mes trois premières années de service ont été réalisées à l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN) en tant que membre du comité interministériel en charge du FNAEG. Autant dire que je ne sais rien des enquêtes criminelles si ce n’est ce qui m’a été enseigné à l’école des officiers de la Gendarmerie nationale. Mon chef d’alors, le colonel Robert Bouche, me confie le commandement de la division des atteintes aux biens et me donne comme mission supplémentaire d’apprendre à diriger des enquêtes. Simples au départ, elles deviennent vite complexes à la manière d’une équation. Je ne suis clairement pas le nouveau Sherlock Holmes de l’Institution mais je comprends vite qu’une enquête bien menée n’est ni plus ni moins qu’une démonstration scientifique. Le parallèle est saisissant : des hypothèses sont émises (je suppose que Pierre et Paul sont les suspects de mon crime), elles sont vérifiées par des expériences qui vont fournir des données (les témoignages, les surveillances physiques et techniques vont me fournir ces données) et leurs résultats sont interprétés (si mes témoignages et mes surveillances techniques démontrent que Pierre et Paul étaient bien présents sur la scène du crime à l’heure où il s’est commis, puis-je pour autant affirmer qu’ils en sont les auteurs ?). En appliquant un raisonnement et une rigueur de scientifique, j’arrive à objectiver les choses et à éviter ainsi toute forme d’arbitraire. Cet examen clinique des éléments d’une enquête, quel que soit le résultat, permet de tendre au plus près de la réalité des faits. Le plus difficile est de garder une certaine distance avec des premiers résultats semblant prometteurs et qui peuvent finalement se révéler faux. Un bon enquêteur est un scientifique qui s’ignore.
En août 2010, le commandant de la section de recherches décide de me promouvoir à la tête de la division des atteintes aux personnes, qui traite des homicides et des trafics de produits stupéfiants. Je découvre à ce moment-là dans le détail l’affaire Kulik et son ampleur. Ne m’étant jamais intéressé avant mon affectation à Amiens à ce meurtre, je lis les actes d’enquête avec un œil neuf, conformément à ce que souhaitait le colonel Bouche. Le raisonnement scientifique prend immédiatement le pas sur toute autre considération. Je réalise avant tout mon propre travail de collecte des données et de synthèse de celles-ci à partir du seul dossier en me gardant de tout raccourci rapide.
Scellé judiciaire contenant une cassette audio supportant l’enregistrement de l’appel d’Elodie Kulik au centre de secours d’Amiens le 11 janvier 2003. Crédits : Courrier Picard – Frédéric Douchet
À la lecture des actes d’enquête, je me rends compte que tous les suspects, des plus intéressants à ceux l’étant moins, ont été prélevés. Dès qu’un homme est un suspect pour raisons probables et/ou plausibles, son profil génétique est déterminé et comparé à celui de la trace. Le nombre d’individus prélevés en 2010 est de plus de 5000 soit l’équivalent d’une ville de taille moyenne.
Tous les hommes possiblement suspects, qu’ils résident ou aient résidé à proximité du lieu des faits, qu’ils aient été désignés par la clameur publique (autrement dit la rumeur persistante) ont tous été prélevés sans succès. Que cela m’apprend-il sur le suspect recherché et plus particulièrement sur son absence lors des prélèvements ?
Trois explications sont possibles quant à son absence :
Il n’a jamais eu à faire à la Justice avant et après le viol
Il a fui dans un endroit où il ne pourra jamais être prélevé
Il est décédé depuis le meurtre
Il est nécessaire de rajouter le paramètre de la médiatisation importante de l’affaire. La presse a en effet rendu public à de multiples reprises la présence d’un profil génétique masculin retrouvé sur la scène de crime. Dans le cas où le suspect serait toujours vivant, nul doute qu’il a connaissance de cette information. Il dispose d’un avantage certain, d’un coup d’avance lui permettant d’être sur ses gardes. Cette avance pourrait cependant être mise à mal par le second suspect qui pourrait à tout moment le dénoncer pour se sauver lui-même. Or, depuis 2002, il n’en est rien. Il est raisonnable de penser que si le second suspect ne s’est jamais manifesté, il restera sur cette ligne de conduite surtout s’il a la conviction que son profil génétique n’a pas été retrouvé sur la scène de crime.
Un constat s’impose à moi naturellement en 2010 : l’élément le plus prometteur pour identifier les deux suspects est le profil génétique que l’un d’entre eux a laissé sur la scène de crime. Néanmoins, comment identifier quelqu’un à partir de son empreinte génétique sachant qu’il n’est pas enregistré au fichier et ne le sera certainement jamais ? Comment disposer d’un nom de famille qui permettait de relancer les investigations ? C’est ici que les enseignements de génétique croisés aux capacités du FNAEG interviennent.
Conservation de scellés biologiques au sein du Service Central de Préservation des Prélèvements Biologiques (SCPPB) rattaché à l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN). Crédits : PGJN
La recherche en parentèle : une nouvelle utilisation de la génétique au service de l’enquête judiciaire
Les profils génétiques enregistrés par le FNAEG sont composés de marqueurs : en 2002, ils sont au nombre de 15 mais peuvent aller jusqu’à 17. Nous ne comptons pas ici le marqueur déterminant le sexe. Chaque marqueur est porteur de deux allèles : l’un provient du père, l’autre provient de la mère. Le profil génétique d’un individu renseigné sur 15 marqueurs présente donc 30 allèles. Sur ces 30 allèles, la moitié sont identiques à la moitié de ceux du père de l’individu ; l’autre moitié à ceux de sa mère.
Lors de la comparaison entre une trace et le profil génétique d’un individu, le moteur de comparaison du FNAEG recherche des correspondances strictes entre les allèles. Autrement dit, dans le cas d’un individu à 15 marqueurs, il faudra que les 30 allèles de ce dernier soient identiques à ceux de la trace pour que le fichier retourne une correspondance (appelé par abus de langage un « match » dans le monde des experts) à l’enquêteur. Dans le cas contraire, la recherche est considérée comme infructueuse. Or, il est des cas où des correspondances partielles peuvent être d’intérêt : ceux où est recherché le parent d’une trace.
En effet, si le suspect n’est pas fiché, peut-être que ses parents ou ses enfants le sont. Ce sont alors eux qui vont permettre de remonter jusqu’à lui car ils fourniront aux enquêteurs un nom de famille. À partir de ce nom, ne restera qu’à reconstituer l’arbre généalogique de la famille du suspect à partir des registres d’état-civil. La manière d’y parvenir à partir du FNAEG est très simple : si le parent du suspect est fiché, le moteur de recherche doit retourner à l’enquêteur tous les individus présentant 50% d’allèles identiques à ceux de la trace. Des analyses complémentaires comme les tests de paternité ou de maternité permettent ensuite de confirmer définitivement le lien de parenté entre l’individu et la trace.
Mon idée me paraissant cohérente, je cherche à savoir si elle a déjà été mise en œuvre à l’étranger. Reprenant ma démarche de scientifique, j’effectue une recherche bibliographique. Humblement, je me dis que d’autres scientifiques à l’étranger ont certainement eu la même idée que moi, l’ont déjà mise en œuvre et en ont publié les résultats. Leur expérience en la matière, réussie ou non, peut m’aider à gagner du temps. Cette recherche m’amène à découvrir un case report dans le célèbre magazine Science. L’article traite du cas du Grim Sleeper, tueur en série d’au moins onze jeunes filles en Californie entre 1985 et 2010. Bien qu’ayant laissé son profil génétique sur plusieurs scènes de crime, il a toujours échappé aux forces de l’ordre et n’a donc jamais été fiché. Les experts nord-américains ont alors adopté la même approche que la mienne et ont réussi à identifier son fils dont le profil génétique était référencé pour des délits. L’article rend également compte d’autres états nord-américains ayant recours à cette technique. À ce stade de mon étude, je suis persuadé que le FNAEG a aussi recours à ce type de recherche mais de manière exceptionnelle. Je prends attache avec les représentants du fichier qui m’apprennent, à ma très grande surprise, que ce cas de figure n’est pas prévu.
La publication dans une grande revue scientifique de la recherche d’un parent au sein du fichier des empreintes génétiques nord-américain me rassure cependant sur la validité de ma démarche. Grâce aux contacts noués lors de ma précédente affectation, je la soumets alors à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice. Cette direction me répond que c’est une première en France, que le FNAEG n’a jamais été envisagé sous cet aspect. Rien n’interdit cette recherche mais rien ne l’autorise. Immédiatement, se pose la question de sa validité dans le cas où elle permettrait d’identifier l’un des agresseurs d’Élodie Kulik. Une année de débats visant à garantir que l’enquête ne sera pas cassée à cause de cette nouvelle méthode de recherche va s’ensuivre. Le couperet tombe en 2011 : nous sommes autorisés à recourir à la technique. Si elle était couronnée de succès, elle ne constituerait pas une cause de nullité de procédure. En toile de fond, il pourrait même être envisagé de l’étendre au plus grand nombre pour la résolution d’affaires similaires.
Dès l’obtention de cette autorisation, la requête visant à rechercher au sein du FNAEG tous les individus présentant la moitié de leurs allèles identiques à ceux de la trace est lancée. Comme pour nos homologues nord-américains, le pari va se révéler payant et constituer pour moi une deuxième surprise qui est heureuse : le père du suspect est fiché. Un test de paternité reposant sur l’analyse du chromosome Y de la trace et de l’individu proposé par le fichier permet de confirmer définitivement l’appartenance des deux à une même lignée paternelle. À partir du nom de famille obtenu, nous reconstituons alors la généalogie de cet homme. Nous remontons jusqu’à son fils aîné, vraisemblablement le véritable propriétaire de la trace. J’ai droit à une troisième surprise mais qui est mauvaise : notre suspect est décédé en 2003 dans un accident de la route soit un an après les faits. Après s’être assuré qu’aucun autre membre de cette famille ne pouvait être concerné, l’exhumation du son corps du suspect début 2012 est lancée. Elle permet de confirmer que son profil génétique est bien celui de la trace.
Le décès du suspect peu de temps après les faits explique son absence lors des opérations de prélèvement de 2002 à 2010. Les expériences ont permis de vérifier les hypothèses. Même si les choses s’annoncent difficiles, je sais néanmoins que l’enquête sera résolue. Quand les enquêteurs disposent d’une piste et à plus forte raison d’un nom, ils l’exploitent jusqu’au bout. Un travail conséquent de reconstitution de l’environnement familial et amical du suspect avant son décès est réalisé. C’est ainsi que mi-2012 le second suspect est ciblé. Il est ensuite identifié et confondu par la reconnaissance de sa voix sur l’appel passé par Élodie Kulik le soir de sa mort. Jugé en première instance en décembre 2019 puis en appel en juillet 2021, il est condamné à 30 ans de prison pour le viol et le meurtre d’Élodie Kulik.
Quand on me demande comment j’ai fait pour avoir l’idée de rechercher un parent du suspect dans le FNAEG (que certains qualifient de géniale alors qu’elle est très simple), je réponds toujours la même chose : il n’y a rien d’extraordinaire dans ce que j’ai fait, c’est la démarche scientifique conjuguée à l’expérience de l’enquête. Des hypothèses posées puis vérifiées par les outils de l’enquête. Une certaine distance par rapport aux résultats. Des échanges avec des gendarmes plus expérimentés car nous réfléchissons mieux à plusieurs que tout seul face à un résultat difficile à interpréter. Tout ça, n’importe quel scientifique ou individu ayant une rigueur et une logique intellectuelle peut le faire.
La ressemblance des vrais jumeaux n’est pas que physique. Ils partagent également le même patrimoine génétique, de quoi mettre en échec la fameuse preuve par l’ADN. Mais peut-être plus pour très longtemps…
Cette affaire récente illustre bien la difficulté à juger une affaire criminelle impliquant des jumeaux. Le 17 mars 2021, la cour d’assises du Val d’Oise de Pontoise jugeait deux frères jumeaux pour trois tentatives d’assassinat. Acquittés pour les deux premières, ils ont en revanche été condamnés à une peine identique de douze ans de réclusion criminelle pour la troisième. Une décision surprenante mais justifiée par l’impossibilité dans les deux premiers cas de déterminer avec certitude à qui appartenait les traces ADN relevées sur une arme de poing.
Cette affaire n’est pas sans rappeler l’affaire des frères Gomis, concernant une série de viols et de tentatives de viols dans la région de Marseille en 2013. Dans l’impossibilité de les différencier à partir de leur ADN, la police avait d’abord inculpé le mauvais jumeau avant d’obtenir les aveux du vrai coupable.
Semblables mais pas identiques à 100%.
Les jumeaux dits “monozygotes“, c’est à dire issus de la division du même ovule fécondé par le même spermatozoïde, partagent le même patrimoine génétique. D’où la difficulté de les différencier sur la base de l’ADN, devenue ces dernières années la reine des preuves scientifiques pour résoudre les affaires criminelles. Les analyses se concentrent en effet sur de minuscules portions non codantes de l’ADN, variables d’un individu à l’autre mais identiques chez les vrais jumeaux.
Cette difficulté génétique pourrait toutefois être prochainement résolue. Dans une étude portant sur 387 paires de jumeaux et publiée le 7 janvier 2021 dans la revue Genetics, des scientifiques islandais soulignent l’existence de mutations génétiques précoces survenant au moment de la gestation, pendant la division cellulaire. Des altérations parfois infimes mais qui expliquent notamment les différences au niveau du physique ou encore face aux risques de développer certaines maladies.
Des empreintes digitales différenciées.
A l’avenir, grâce aux progrès des techniques de séquençage en laboratoire, il sera donc possible de différencier les jumeaux par leur ADN. En attendant ce bond technologique, la police scientifique peut toujours s’appuyer sur la dactyloscopie. En effet, chaque personne possède des empreintes digitales uniques. Il existe en fait une probabilité de 1 sur 64 milliards de les partager avec un autre individu, une possibilité tellement faible qu’elle en devient quasiment impossible.
Les jumeaux, contrairement à certaines idées, ne font pas exception à la règle. Si l’ADN joue un rôle fondamental dans la structure des empreintes digitales, de nombreux autres facteurs peuvent les affecter. Formées in utero entre la treizième et la vingtième semaine de gestation, elles sont ensuite soumises à toutes sortes de “stress” environnementaux : pressions contre les parois utérines, frottements à l’intérieur du liquide amniotique ou sur le cordon ombilical, succion du pouce par le fœtus. Selon certaines études, le comportement maternel pourrait également altérer les dessins digitaux : l’exposition à des agents toxiques (alcool, drogue) ou à certains médicaments, certaines infections virales ou bactériennes et jusqu’aux problèmes psychologiques rencontrés au cours de la grossesse, augmenteraient ces risques d’altérations. Après la naissance, accidents, maladies de peau ou traitements médicaux peuvent également modifier le détail des crêtes papillaires.
Ce sont autant d’indications précieuses que la police scientifique, confrontée à une affaire criminelle, utilise pour lever le mystère de la gemellité.
La police scientifique avait déjà l’habitude de traquer l’ADN sur une scène de crime, présente notamment dans les fluides corporels et dans les cheveux. La découverte récente de deux équipes scientifiques vient de prouver que cette signature génétique se retrouve aussi dans l’air.
Comme souvent dans les découvertes scientifiques, tout commence par une recherche aux antipodes de la criminalistique. Début 2021, des chercheurs de l’université de York en Angleterre et de l’université de Copenhague au Danemark ont décidé d’installer dans deux zoos européens des capteurs équipés de filtres afin de prélever des échantillons d’air et d’en analyser la composition. L’objectif initial était de déterminer s’il était possible, grâce à cette méthode, de recenser les espèces animales présentes dans un habitat naturel, de les suivre pour mieux les protéger et d’effectuer ainsi un suivi extrêmement précis des espèces menacées.
Le résultat des séquençages a dépassé toutes leurs espérances puisque dans les deux cas, les scientifiques ont retrouvé non seulement l’ADN de nombreuses espèces animales mais également du matériel génétique humain provenant des personnes chargées de l’expérience. Une première et la promesse pour les équipes de police scientifique de voir encore progresser les techniques d’investigation.
L’ADN humain, une trace propre à chaque individu.
Ce n’est que dans les années 80 que les investigations criminelles ont commencé à intégrer la recherche des traces ADN sur les scènes de crime. Ce sont les travaux d’Alec Jeffreys, un chercheur britannique de l’université de Leicester, qui ont ouvert cette voie de la trace génétique. Là encore, la finalité de ses recherches était bien loin du domaine de la police scientifique : l’équipe de chercheurs s’intéressaient avant tout à la transmission héréditaire de certaines maladies génétiques. Mais ils ont découvert au passage que des portions d’ADN du génome sont uniques à un individu. Une découverte qui aura en 1985 une application pratique. Sollicité par la police lors de l’assassinat de deux jeunes filles, le laboratoire d’Alec Jeffreys va mettre en évidence grâce aux traces de sperme prélevées sur la scène de crime, que les deux meurtres ont bien été commis par une seule et même personne.
L’ADN dans l’air, un progrès décisif.
L’évolution des techniques de prélèvement et d’analyse ainsi que l’entrée en fonctionnement en 2000 du FNAEG (le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétique qui compte aujourd’hui près de 3,5 millions de profils génétiques) ont déjà révolutionné les méthodes d’investigation. Il est désormais possible de détecter et séquencer de l’ADN en prélevant les traces même minuscules qu’un individu, criminel ou victime, laisse sur son passage. C’est le cas notamment pour le sang, le sperme ou la sueur ainsi que pour les cheveux munis de leur racine. Faute de bulbe capillaire, c’est l’ADN mitochondrial (un ADN uniquement transmis par la mère) qui est recherché.
La possibilité de capter l’ADN en suspension dans l’air et de le comparer à celui d’éventuels suspects ou à la base de données existante, ouvre encore de nouvelles perspectives pour résoudre les affaires criminelles les plus complexes.
Localiser le corps de personnes disparues et enterrées en pleine nature est pour les enquêteurs une tâche complexe, voire impossible. A l’avenir, les arbres pourraient bien les y aider. Voici comment.
Ce n’est pour l’instant qu’une théorie mais elle émane du très sérieux Forensic Anthropology Center de l’Université du Tenessee (États-Unis) qui a fondé en 1980, la première “Body farm“(ou Ferme des corps). Ce centre s’est spécialisé dans une étude certes un peu macabre, mais d’une grande utilité pour les enquêtes judiciaires : examiner comment les cadavres se décomposent en fonction du lieu où ils sont déposés mais aussi en fonction des conditions climatiques (froid, chaleur, humidité…). Les chercheurs étudient notamment comment le microbiome du corps humain (l’ensemble des micro-organismes et de leurs gènes) réagit après la mort.
Surveiller la couleur des feuilles.
Lorsqu’un corps se décompose en milieu naturel, il transforme la nature du sol. En l’absence des réactions immunitaires qui se produisent chez un organisme vivant, les bactéries se multiplient et se mélangent aux micro-organismes de la terre. C’est à partir de cette constatation que les chercheurs en sont venus à l’idée suivante : et si ces modifications au niveau du sol affectaient également les arbres qui y puisent leurs nutriments ? Et si c’est le cas, pourrait-on détecter ces changements au niveau de la couleur et de la réflectance (la proportion de lumière réfléchie par une surface) de leurs feuilles ?
L’azote, un marqueur visible.
Parmi les composants chimiques susceptibles de faire réagir la végétation, les chercheurs pointent l’azote, présent en grande quantité dans le corps et qui fait partie des engrais classiquement utilisés pour doper la croissance des végétaux. Les plantes produisent en effet plus de chlorophylle et leurs feuilles deviennent plus vertes, ce qui pourraient devenir un facteur de détection visuelle.
Toutefois, d’autres interactions complexifient ces observations : la présence dans les corps en décomposition de certains métaux ou de traces de médicaments par exemple. Mais aussi et plus simplement, la vie propre au milieu naturel dans lequel le cadavre est déposé : insectes nécrophages, charognards, déjections animales….
Reste enfin à différencier les effets de la décomposition humaine avec celle d’un autre grand mammifère, cerf, loup, ours, bovin…. Dans les zones sauvages comme sur les terres agricoles, des animaux meurent, se décomposent et il n’existe à l’heure actuelle aucune étude comparative permettant de distinguer ces différents microbiomes.
Quadriller la zone avec un drone.
Face à ces nombreux défis, le Forensic Anthropoly Center du Tenessee procède par étapes. Dans un premier temps, les chercheurs ont placé des “donneurs” (personnes ayant fait don de leurs corps au profit de la recherche) dans des parcelles de terrain afin d’observer la réponse des végétaux à cette exposition macabre. La terre au contact de la décomposition humaine a ensuite été transposée dans une serre pour mieux scruter les plantes et leurs modifications.
Ces contrôles sont réalisés grâce à l’imagerie hyperspectrale qui met en évidence la fluorescence des feuilles induite par la chlorophylle, une technologie déjà utilisée pour identifier en survol les exploitations de cannabis et de pavot.
Si cette étude devait aboutir, cela pourrait révolutionner la recherche de personnes disparues. Grâce aux drones et à la technologie d’imagerie, il serait possible de scanner des zones étendues ou difficilement accessibles et de repérer les changements liés au processus de décomposition à proximité. Un gain de temps pour les forces de l’ordre et l’espoir pour les familles de faire leur deuil.
D’aussi loin que le crime existe, le criminel a pour réflexe naturel de dissimuler ses traces pour tenter d’échapper à la justice. Encore faut-il, pour y parvenir, que les traces de son action ou de son passage soient visibles à l’œil nu …
« Nul ne peut agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser de marques multiples de son passage. Tantôt le malfaiteur a laissé sur les lieux les marques de son activité ; tantôt par une action inverse, il a emporté sur son corps ou sur ses vêtements les indices de son séjour ou de son geste. » Edmond LOCARD, L’enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Flammarion, Paris, 1920.
Les microtraces, un indice très discret
Comme l’expliquait Edmond LOCARD dans son traité de Criminalistique, l’auteur abandonne des traces de sa personne et de son environnement sur la victime et sur la scène de crime et réciproquement, il emporte avec lui des traces de son acte. Une enquête criminelle s’appuie donc en partie sur les traces matérielles retrouvées sur les lieux d’un délit ou sur une scène de crime. Pour ce faire, les enquêteurs et la police scientifique y relèvent méthodiquement traces et indices.
Depuis deux décennies, les séries télévisées ont largement vulgarisé l’importance de la collecte des traces sur une scène de crime ou sur un individu suspect. Les possibilités d’exploitation de ces traces pour résoudre une enquête sont maintenant bien connues du grand public. La télévision et internet ont sans aucun doute aussi contribué à l’éducation des futurs criminels, en les informant sur les traces susceptibles de les confondre.
Pourtant, un type de traces reste encore aujourd’hui assez confidentiel, celui de l’infiniment petit. Ce monde où l’œil humain trouve ses limites est lui aussi peuplé de traces exploitables, que l’on nomme « microtraces ». Leurs dimensions sont généralement inférieures au millimètre et échappent à notre perception. Le seul défi est d’être capable de les collecter sans les voir, par le biais de prélèvements systématiques, afin de pouvoir ultérieurement les exploiter.
Une seule des cellules constituant notre corps humain contient tout le matériel nécessaire pour établir notre profil génétique, en d’autres mots notre « ADN ». Il n’est donc pas nécessaire qu’un criminel se blesse et saigne – ou abandonne ses autres fluides biologiques (salive et sperme notamment) – pour laisser son ADN sur une scène de crime. En effet, chacun de ses contacts avec la victime ou de ses manipulations d’objets dans l’environnement de la victime peuvent laisser quelques cellules de peau et conduire potentiellement à l’obtention de son ADN. En l’absence de contact, des projections microscopiques de salive ou de sang peuvent aussi mener à une identification par l’ADN.
Une touffe de cheveux arrachés dans la main de la victime n’est plus vraiment un indice que le criminel va laisser derrière lui. Toutefois, les vêtements d’une victime – ou encore ses sous-vêtements dans le cas d’un viol – peuvent receler de minuscules poils ou fragments de cheveux, eux-aussi susceptibles de mener à l’ADN du criminel.
Lorsque les faits se passent en extérieur, la nature peut aussi venir en aide à la justice via des débris microscopiques de minéraux ou de végétaux. Ceux-ci peuvent être retrouvés sous les semelles, sur les vêtements ou dans les poches d’un criminel par exemple. Ces microtraces peuvent être indicatives de la nature du sol ou de la végétation présente sur le lieu des faits, ou encore du lieu où la victime a éventuellement été déplacée après les faits.
Sans être exhaustif, un dernier type de microtraces biologiques, les diatomées, peut se retrouver dans les poumons d’une victime et aider à vérifier si la victime s’est bien noyée dans les eaux où elle est découverte (thèse accidentelle) ou s’il s’agit d’une mise en scène avec noyade préalable dans une eau de distribution par exemple. Les diatomées, sorte de microalgues unicellulaires, peuvent aussi varier entre les eaux du lieu de découverte d’une victime et son lieu de noyade et ainsi réorienter l’enquête vers la scène de crime originelle.
Les microtraces d’origine chimique
Les armes à feu sont régulièrement utilisées ou exhibées dans des faits criminels. La manipulation ou l’utilisation d’une arme conduit à la contamination des mains, du visage et des vêtements du criminel par des résidus de tirs. Ces derniers sont des particules microscopiques dont la forme et la composition chimique sont caractéristiques, bien que la composition puisse aussi varier en fonction de la munition et de l’arme impliquées. Les vêtements que nous portons sont aussi très utiles pour révéler des contacts criminels. En effet, la friction entre deux matières textiles qui entrent en contact l’une avec l’autre va provoquer un échange de minuscules entités microscopiques que sont les fibres textiles. Ces dernières sont la base de la fabrication des fils textiles qui servent à confectionner nos vêtements. Les fibres textiles sont aussi disponibles en surface des vêtements d’où elles peuvent être échangées par friction. Ces échanges peuvent être d’autant plus intenses que les contacts entre une victime et son agresseur sont violents. Les vêtements d’une victime recèlent donc des microtraces de fibres textiles provenant des vêtements de son agresseur, et en particulier dans les zones où se sont concentrés les contacts, comme la zone du cou dans l’exemple d’un étranglement. En accord avec les principes énoncés en son temps par Edmond LOCARD, l’agresseur va lui aussi emporter des microtraces de fibres issues des vêtements de la victime.
Un accident avec délit de fuite peut souvent avoir de graves conséquences pour la victime abandonnée blessée, lorsqu’il s’agit d’un usager faible comme un piéton ou un cycliste. En l’absence de vidéo-surveillance et de débris automobiles sur les lieux de l’accident, de microscopiques traces de peinture automobile peuvent être retrouvées sur les vêtements de la victime et leur analyse peut conduire à identifier une marque, voire un modèle de véhicule à faire rechercher par les services de police. Une fois le véhicule suspect retrouvé, une comparaison formelle peut intervenir avec la peinture des parties accidentées. En général, la comparaison demeure encore possible même si le véhicule a été réparé entre-temps.
Les microtraces, un vaste sujet
Les microtraces sont aussi diverses et variées qu’il existe de matières biologiques ou chimiques, capables de se disséminer ou de se fragmenter sous forme de traces microscopiques. Cet article n’a pas pour but d’être exhaustif et les exemples cités illustrent brièvement les microtraces les plus courantes dans les enquêtes criminelles. Chaque type de microtraces requiert des méthodes particulières de collecte par des opérateurs qualifiés et des techniques spécifiques d’analyse par un laboratoire spécialisé, trop longues à expliquer dans cet article généraliste. Des articles plus ciblés seront plus à même de détailler l’utilité de chaque type de microtraces dans l’enquête criminelle.
L’identification des restes humains appartenant à des personnes disparues reste un processus difficile en génétique médico-légale. Lorsque qu’un corps ou des restes humains non identifiés sont découverts, une comparaison entre le profil ADN post-mortem (obtenu à partir de prélèvements de tissus biologiques lors de l’autopsie) et le profil ADN ante-mortem (classiquement obtenu à partir d’objets personnels de la personne disparue ou d’un échantillon médical antérieur) est la plus méthode fiable d’identification [1].
Un certain nombre de pays ont mis en place des programmes nationaux d’identification des personnes disparues grâce aux analyses ADN qui sont très efficaces lorsque la disparition d’individus et la découverte de restes humains non identifiés se produisent dans le même pays. Cependant, de nombreuses enquêtes restent non-résolues même lorsque toutes les pistes nationales ont été étudiées.
La coopération internationale dans les enquêtes sur les personnes disparues est donc fortement conseillée à la lumière de l’augmentation des migrations mondiales, des conséquences de la criminalité transnationale et de la traite des êtres humains croissantes, de la vulnérabilité des migrants et des réfugiés, et du risque élevé de ces derniers d’être victimes d’un acte criminel.
INTERPOL, la plus grande organisation policière internationale au monde, a pour mandat de participer aux enquêtes internationales, y compris sur les personnes disparues, en connectant ses 195 pays membres. L’Organisation travaille principalement avec les institutions policières nationales via le Bureau Central National d’INTERPOL présent dans chaque pays, mais peut également coopérer avec d’autres entités internationales impliquées dans les situations d’identification des victimes de catastrophes et les affaires de personnes disparues. INTERPOL fournit le cadre juridique et l’infrastructure technique pour un échange sécurisé d’informations et un accès à ses 19 bases de données, permettant ainsi aux polices du monde entier de collaborer (Figure1).
Figure 1 : Les 19 bases de données d’INTERPOL. Crédits : Interpol.
Créée en 2002, la base de données ADN d’INTERPOL contient actuellement plus de 250 000 profils fournis par 86 pays membres. Les bureaux centraux nationaux et les entités internationales peuvent soumettre un profil ADN provenant d’un suspect ou condamné, de scènes de crime, de personnes disparues et de restes humains non identifiés, avec un résultat de recherche automatisé fourni en quelques minutes. Aucune donnée nominative n’est attachée au profil et les pays membres conservent la propriété de leurs informations, conformément aux règles de traitement des données d’INTERPOL. Les pays peuvent également choisir avec qui ils souhaitent rendre leurs données disponibles à des fins de comparaison. La base de données ADN d’INTERPOL a permis aux enquêteurs du monde entier d’établir un lien entre les auteurs d’infractions et différents types d’infractions, notamment des affaires de viol, de meurtre ou encore de vol à main armée ainsi que d’identifier formellement les personnes disparues retrouvées décédées en dehors de leurs frontières nationales d’où elles ont été portées disparues.
Cependant, dans de nombreux cas, les correspondances ADN directes ne sont pas possibles car les profils ADN ante mortem sont soit indisponibles soit insuffisants pour confirmer l’identité de la personne disparue. Ceci est souvent dû à l’impossibilité de récupérer des objets personnels (par exemple une brosse à dent appartenant à la personne disparue) ou d’accéder aux dossiers médicaux pouvant contenir des informations biologiques pertinentes. Par conséquent, dans la majorité des cas, les données ADN ante mortem ne peuvent être obtenues que par le biais de la donation d’échantillons biologiques par des proches génétiquement liés à la personne disparue aux autorités requérantes.
Alors que la plupart des laboratoires ont la capacité et l’expérience d’effectuer des tests de parenté relativement simples, tels que des tests de paternité, l’évaluation de scénarios de parenté complexes est beaucoup plus difficile [2]. Un logiciel informatique spécialisé est souvent nécessaire pour entreprendre des comparaisons de données ante-mortem et post-mortem afin d’effectuer des calculs de parenté complexes avec de grands ensembles de données de profils ADN. Ce logiciel calcule les rapports de vraisemblance (LR), qui constituent la base optimale pour les décisions statistiques, qu’il existe ou non une hypothèse sur les probabilités antérieures [3]. En utilisant des fréquences alléliques spécifiques de la population de référence à laquelle appartient la personne disparue, la probabilité qu’une personne disparue puisse appartenir à un arbre généalogique constitué des membres de la famille dont l’ADN est disponible (par exemple, parent, enfant ou frère de la personne disparue) est mesuré en comparant deux hypothèses ; H1 et H2. H1 soutient que l’individu appartient à l’arbre généalogique étudié, tandis que H2 soutient qu’ils ne sont pas liés [2]. Bien qu’il soit possible d’implémenter cette méthode dans un environnement national (la recherche en parentalité est utilisée dans plusieurs pays, dont la France par exemple) où la personne disparue et les restes humains non identifiés sont signalés dans le même pays, de nombreux défis devaient être résolus avant d’appliquer cette méthode à une configuration internationale.
INTERPOL a relevé ces défis et, en juin 2021, a officiellement lancé sa 19e base de données, I-Familia, dédiée à l’identification de personnes disparues au niveau mondial par la recherche ADN en parentalité (Figure 2).
Figure 2 : Le processus de comparaison ADN pour les enquêtes sur les personnes disparues à l’aide de la base de données ADN d’INTERPOL et d’I-Familia. Crédits : Interpol.
I-Familia est un service novateur, gratuit et disponible pour les 195 pays membres pour aider à trouver des relations biologiques potentielles entre les profils ADN de parents biologiques de personnes disparues et des restes humains non identifiés dans le monde. I-Familia est caractérisé par trois composants. Premièrement, une base de données ADN dédiée qui héberge les profils ADN anonymes des proches biologiques des personnes disparues et des restes humains non identifiés. Il s’agit d’une base de données autonome sans lien avec d’autres bases de données INTERPOL contenant des données criminelles. Deuxièmement, le logiciel de pointe BONAPARTE [4] qui est utilisé pour gérer les calculs de rapport de vraisemblance pour tout arbre généalogique familial avec les données ADN disponibles (profil ADN avec STR autosomiques, Y-STR ou ADN mitochondrial) avec tous les profils ADN de restes humains non identifiés. Troisièmement, des règles d’interprétation validées scientifiquement [5] pour aider les utilisateurs dans l’interprétation des résultats statistiques et le processus de prise de décision qui conduit au rejet ou à la déclaration d’une relation biologique potentielle.
L’évaluation statistique de l’appartenance d’un profil ADN avec un arbre généalogique ADN, nécessite l’utilisation de fréquences alléliques de la population de référence. Comme les informations sur l’origine génétique des individus dont l’ADN est étudié fait très souvent défaut ou sont indiquées de manière incorrecte, I-Familia permet des calculs de rapport de vraisemblance en utilisant des fréquences alléliques mondiales [6] et un facteur de correction pour tenir compte du degré de parenté des allèles avec une ascendance étroitement partagée. Pour rationaliser le processus de prise de décision et l’examen des relations biologiques potentielles, des simulations de pedigree approfondies ont été effectuées pour déterminer avec précision les seuils optimaux de rapport de vraisemblance. Sur la base des 10 scénarios les plus fréquemment rencontrés dans les enquêtes sur les personnes disparues (en fonction de la disponibilité des profils ADN de parents biologiques tels que les parents, enfants ou frères et sœurs) et le nombre de marqueurs génétiques STR qui sont comparables entre les profils (allant entre 6 et 24 marqueurs), les seuils de rapport de vraisemblance aident à limiter le signalement de correspondances faussement positives tout en minimisant le rejet de correspondances faussement négatives. Des tables d’interprétation, spécialement conçues pour refléter le nombre attendu de correspondances fortuites pour chaque type de correspondance, sont extrêmement utiles pour déterminer la décision la plus appropriée (étudier la correspondance, rejeter la correspondance ou demander des informations ADN supplémentaires).
Lorsque la force probante de l’information issue de l’étude ADN est suffisante et que les données ante-mortem et post-mortem sont compatibles, un rapport de relation biologique potentielle est envoyée aux deux sources de données qui peuvent alors coopérer sur une base bilatérale pour confirmer l’identification en utilisant leurs procédures nationales.
I-Familia a déjà permis l’identification de personnes disparues dont les corps ont été retrouvés dans un autre pays que celui où elles ont été portées disparues. La première concordance confirmée a été trouvée entre les profils ADN des enfants d’une personne disparue italienne et celui d’un corps retrouvé dans la mer Adriatique par la police croate en 2004, clôturant ainsi une affaire qui s’était avérée non résolue pendant près de 16 ans.
Fin 2021, plus de 12 000 notices jaunes actives – alertes policières internationales pour personnes disparues – avaient été émises par le Secrétariat général d’INTERPOL, soulignant la nécessité d’une plus grande coopération internationale. I-Familia est un outil humanitaire qui, grâce à la portée mondiale d’INTERPOL, ouvre de nouvelles possibilités immenses pour identifier les personnes disparues et apporter des réponses aux familles.
Pour toute information complémentaire sur I-Familia, veuillez consulter la brochure I-Familia [7].
References:
[1] Recommendations on the Use of DNA for the Identification of Missing Persons and Unidentified Human Remains by the INTERPOL DNA Monitoring Expert Group, (2017). http://www.interpol.int.
[2] M.D. Coble, J. Buckleton, J.M. Butler, T. Egeland, R. Fimmers, P. Gill, L. Gusmão, B. Guttman, M. Krawczak, N. Morling, W. Parson, N. Pinto, P.M. Schneider, S.T. Sherry, S. Willuweit, M. Prinz, DNA Commission of the International Society for Forensic Genetics: Recommendations on the validation of software programs performing biostatistical calculations for forensic genetics applications, Forensic Sci. Int. Genet. 25 (2016) 191–197. https://doi.org/10.1016/j.fsigen.2016.09.002.
[3] A. Collins, N.E. Morton, Likelihood ratios for DNA identification., Proc. Natl. Acad. Sci. 91 (1994) 6007–6011. https://doi.org/10.1073/pnas.91.13.6007.
[5] FX. Laurent, A. Fischer, R. Oldt, S. Kanthaswamy, J. Buckleton, S. Hitchin, Streamlining the decision-making process for international DNA kinship matching using worldwide allele frequencies and tailored cutoff log10LR thresholds, Forensic Sci. Int. Genet. 56 (2021). https://doi.org/10.1016/j.fsigen.2021.102634.
[6] J. Buckleton, J. Curran, J. Goudet, D. Taylor, A. Thiery, B.S. Weir, Population-specific F values for forensic STR markers: A worldwide survey, Forensic Sci. Int. Genet. 23 (2016) 91–100. https://doi.org/10.1016/j.fsigen.2016.03.004.