Si l’analyse dentaire fait désormais partie des techniques d’identification médico-légales reconnues, celle des traces de morsure semble aujourd’hui remise en question, faute d’un fondement scientifique suffisant.
Au même titre que l’ADN ou les empreintes digitales, les dents ainsi que les mâchoires constituent une sorte de carte d’identité unique et propre à chaque individu. Cette constatation a donné naissance à une branche de la médecine légale, l’odontologie médico-légale qui va trouver l’une de ses premières applications en 1897, lors de l’incendie du Bazar de la Charité. Face à des cadavres entièrement calcinés et méconnaissables, les autorités ont eu l’idée de faire appel aux dentistes des victimes.
Quand les dents laissent leurs marques
Depuis, ce processus d’identification est utilisé à chaque fois que l’on doit identifier des restes humains, individuellement ou lors de catastrophes de masse et ce, quelles que soient les circonstances du décès. La structure des dents résiste en effet à pratiquement tous les facteurs de destruction tels que l’enfouissement, la crémation, l’immersion ou encore les attaques physico-chimiques.
En l’absence de toute autre donnée, l’étude faite par l’expert odontologiste sur les dents, leurs pathologie et les signes d’usure notamment, peut donner des informations sur le sexe, l’âge, l’ethnie, les habitudes alimentaires, et par comparaison avec un dossier dentaire “ante mortem”, identifier formellement un individu.
Une autre partie de l’odontologie médico-légale consiste à interpréter les traces de morsure laissées sur une victime, vivante ou décédée mais également sur un agresseur ou sur certains objets. L’analyse que les experts effectuent désormais à l’aide de technologies numériques comme le laser-scanner 3D, peut conduire à l’identification ou a contrario à l’exclusion d’un potentiel agresseur. Toutefois, dans la mesure où il n’existe aucune automatisation des méthodes et que cette interprétation doit tenir compte de nombreux facteurs en dehors des dents, certains spécialistes considèrent que cette technique médico-légale manque de fondement scientifique et ne peut pas constituer une preuve formelle.
Une fiabilité remise en question
La polémique, qui a débuté aux Etats Unis en 2009 avec une étude réalisée par les Académies nationales des sciences, d’ingénierie et de médecine, vient de rebondir ces dernières semaines avec un projet de rapport émis par le National Institute of Standards and Technology (NIST)qui remet en question la rigueur scientifique de ces analyses.
Le NIST souligne que l’interprétation des traces laissées par les morsure est basée sur deux postulats de départ : le premier étant que les marques de dents sont uniques, le second que ces morsures sont parfaitement préservées quel que soit le support. Or, elles ne font intervenir qu’une partie de la dentition des dents (essentiellement celles du devant). De plus, la peau humaine, le plus souvent porteuse de ces marques, est par définition un tissu malléable, susceptible de les modifier en fonction de son élasticité, des mouvements de la victime, des ecchymoses qui peuvent survenir et du degré de cicatrisation in situ. Tous ces facteurs, selon certains spécialistes, affaiblissent la possibilité d’une comparaison suffisamment fiable pour incriminer un suspect.
Le rapport de cette agence fédérale américaine est encore loin d’être finalisée mais ses premiers éléments suscitent déjà de nombreuses réactions dans les milieux scientifiques comme dans certains organismes oeuvrant pour démontrer l’innocence de personnes condamnées par erreur. C’est notamment le cas de l’organisation Innocence Project établie aux Etats Unis, qui rappelle que 26 personnes ont été condamnées à tort sur la base de traces de morsure. Ce qui présage de nombreuses batailles juridiques à venir.
La lutte contre toutes les formes de violences et agressions sexuelles est une préoccupation permanente des unités de gendarmerie qui œuvrent au quotidien sur le terrain en partenariat avec l’ensemble des acteurs institutionnels et associatifs concernés par ce phénomène.
Si l’amélioration de la formation des militaires et de la prévention de ce type de faits sont des approches incontournables afin d’optimiser le dispositif actuel, il n’en demeure pas moins que la phase judiciaire est essentielle pour procéder à l’identification des auteurs en vue de leur présentation à la justice.
La victime d’une agression sexuelle peut se présenter auprès d’un service d’enquête ou se rendre à l’hôpital (Accueil des Urgences ou Pôle des violences sexuelles), voire se rapprocher d’une association ayant pour vocation d’aider les victimes de ce type de faits.
Si dans le premier cas cela entraîne un dépôt de plainte, en milieu hospitalier ou auprès d’une association, un signalement est à minima réalisé. Si l’agression remonte à moins de 5 jours, la victime s’inscrit alors dans un parcours : Accueil et soutien, Anamnèse, Prélèvements médico-légaux, traçabilité … Au delà des 5 jours, elle est orientée vers des informations et une prise en charge médico-sociale.
Dans le cas du dépôt de plainte, la victime suit alors un parcours, parfois ressenti comme laborieux ou contraignant, où il va lui falloir passer de rendez-vous en rendez-vous à l’occasion desquels il lui faudra à plusieurs reprises verbaliser ce qui lui est arrivé, subir des prélèvements, la saisie de pièces et objets dans le cadre d’une procédure avec des scellés transmis à un laboratoire d’analyse en vue d’une expertise médico-légale ou hospitalière. Dans le cas contraire, il convient d’assurer à minima la conservation des prélèvements en cas de dépôt de plainte ultérieur ou d’une autre saisine de la part de la justice.
A cela peut se rajouter la qualité d’un accueil inadapté ou les élongations dans le circuit entamé. Cela entraîne du stress pour les victimes et leurs entourages et certaines ne vont pas au bout de leurs démarches initiales.
Dans ce cadre, la Gendarmerie Nationale a, à partir de l’année 2018, développé le Programme « MAEVAS » pour Mallette d’aide à l’Accompagnement et à l’Examen des Victimes d’Agressions Sexuelles suivi au sein de l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) à Pontoise (95).
Pour mieux accompagner les victimes d’agressions sexuelles
« MAEVAS » propose une démarche globale novatrice visant à accompagner les victimes d’atteintes sexuelles les plus graves, quel que soit leur âge ou leur sexe, tout en offrant des outils méthodologiques et criminalistiques collaboratifs permettant de procéder à toutes les investigations nécessaires, regroupés dans une mallette, au bénéfice de la résolution de cette typologie d’infractions, allant de l’accueil de la victime qui dépose plainte, en passant par les prélèvements, pour tendre vers un traitement judiciaire optimum sans négliger l’accompagnement de la victime et de son entourage durant toute l’enquête.
Le but étant de ne pas imposer à la victime des auditions ou actes complémentaires ultérieurs, qui seraient traumatisants. Le corps d’une victime n’est pas une scène de crime comme les autres !
En effet, les Unités Médico-judiciaires (aussi appelée UMJ), lieux où le médical collabore avec l’autorité judiciaire, c’est-à-dire réalise des actes médicaux à la demande des enquêteurs ou de la justice sont les structures à même de répondre efficacement à ce besoin. Mais, la moitié de la France n’est pas dotée d’UMJ, qui sont souvent, pour ne pas dire exclusivement, implantées en Zone Police Nationale où, à défaut, un service d’urgence hospitalier est présent à proximité. La situation est tout autre en Zone Gendarmerie Nationale, avec le contexte particulier de nos territoires et départements situés en Outre-Mer.
Diffusée dans un premier temps au sein d’unités de Gendarmerie à proximité desquelles on ne trouve pas d’UMJ, « MAEVAS » permettra ainsi de réduire les inégalités territoriales et elle pourra particulièrement être déployée Outre-Mer.
Sa mise à disposition dans les unités d’accueil devrait permettre, en cas d’impossibilité de traitement dans les meilleurs délais au sein d’une UMJ (Distance, accessibilité …), à un médecin isolé, spécifiquement requis, de procéder dans son cabinet, aux prélèvements nécessaires, afin de ne pas laisser une victime sans réponse, ce qui serait préjudiciable à la prise en compte de son agression. Ce projet repose donc sur la collaboration entre tous les acteurs, autour de la prise en compte de l’état et du besoin d’accompagnement de toute victime de ce type d’agression.
Ultérieurement, « MAEVAS » pourra également être déployée dans le milieu carcéral ou universitaire (Bizutage), voire sportif. Le concept pourrait également utilement être déployé au sein des Armées (Agressions sexuelles lors d’opérations extérieures, Bâtiments de la Marine Nationale, Bases …) via les médecins militaires.
Une mallette complète à destination des enquêteurs et médecins
Un document de synthèse rassemblant de multiples recommandations, depuis des conseils sur les conditions d’accueil d’une victime jusqu’aux actes de prélèvements, incluant des aspects relatifs aux auditions ou à l’accompagnement de la victime, est présent. En première version, un contenu allégé visant principalement à permettre l’identification d’un auteur est proposé, ce qui permet un déploiement initial plus rapide.
Aussi, on y trouve :
– Les consommables nécessaires, sous forme de kits pré-emballés, dédiés aux dépistages divers et aux prélèvements conservatoires (ADN, toxicologie, traces de transferts, kit hygiénique …), dans le but d’identifier l’auteur des faits,
– Des fiches guides d’aide aux prélèvements ainsi que des recommandations (sanitaires ou de recherches, localisation et conservation d’indices …) à l’attention des médecins et enquêteurs qui viendraient assurer la continuité des échanges et des actes entre tous les intervenants.
« MAEVAS » peut ainsi être déployée dans des unités éloignées d’UMJ et de services hospitaliers. Charge à ces unités de faire accompagner une victime qui se serait présentée en leurs locaux par une « MAEVAS ».
Par ailleurs, au regard du fait que les UMJ ou les services d’urgences hospitalières souhaitent améliorer leurs contacts avec les enquêteurs dans le but d’améliorer la coordination et les actions à conduire, il pourra être envisagé ultérieurement, dans le cadre d’une coordination avec le Ministère des Solidarités et de la Santé de mettre à leur disposition des « MAEVAS ».
La résolution de ce type d’affaire nécessite une complémentarité d’actions entre acteurs autour de la prise en compte de l’état et du besoin d’accompagnement de toute victime de ce type d’agression et qui opèrent bien souvent les uns après les autres, alors qu’une approche globale, complémentaire, harmonisée et systématique s’avérera moins traumatisante pour la victime et permettra une meilleure exploitation par les enquêteurs. C’est dans ce but qu’a été organisé le 13/03/2019 à Pontoise (95) un Gend’Lab(*) sur le thème de « Violences faites aux femmes : Les Atouts de MAEVAS (Mallette d’aide à l’Accompagnement et l’Examen des Victimes d’Agressions Sexuelles) ». Ce Gend’Lab avait pour objectif de fédérer les bonnes volontés pouvant contribuer à la “conception” et à l’accompagnement de la Mallette, en amont et en aval de son emploi (Associations d’aide aux victimes, Ministère de la Justice, Ministère de la Santé et l’Ordre des médecins …).
* : Événement ouvert au public organisé par la Gendarmerie Nationale qui a pour objet d’exposer ses travaux ou projets scientifiques et techniques en présence des partenaires du projet et des organisations intéressées par le thème.
Avec « MAEVAS », tous les acteurs ayant à en connaître complètent, en ce qui les concerne, la partie du dossier leur revenant, avec en final la constitution d’un dossier judiciaire cohérent facilement exploitable par un magistrat.
Une expérimentation lancée au 1er semestre 2022
Importance de la mallette « MAEVAS », mixant donc l’aspect criminalistique (aide aux enquêteurs) et l’aspect aide à la victime (références des associations d’aide aux victimes), qui fait l’objet d’une expérimentation terrain depuis la fin du 1er Semestre 2022 au sein des départements de la Charente Maritime (17), du Cher (18), du Val d’Oise (95) qui possèdent des environnement médicaux légaux différents.
Tout autant, pour les spécificités Outre-mer, le Commandement de la Gendarmerie Outre-Mer et le Ministère des Outre-Mer proposent de voir expérimenter la Mallette à La Réunion pour son caractère insulaire et le gros volumes de faits potentiellement visés par « MAEVAS » et en Polynésie pour son caractère de multiple insularité, une forme d’isolement et les éventuelles difficultés qui en découlent à accéder à un accueil sanitaire/médical approprié.
Pour améliorer la réponse aux victimes
Chaque « Kit » est destiné à un acteur et une action, accompagné d’un formulaire adapté. Cela contribuera à l’automatisation et la systématisation des actes techniques d’enquête ou de criminalistique. La composition du Kit doit être normalisée et tracée (Dates de péremption) avec une nécessaire réflexion à mener sur la conservation des prélèvements.
C’est une occasion de faire la démonstration que des spécialistes peuvent conjuguer leurs efforts afin de s’investir dans ce domaine en favorisant les partages d’expériences, clarifiant situations et rôles sans gaspiller énergie et expérience au bénéfice de la prise en compte de la situation de la victime. Cette indispensable connaissance fine du phénomène, permettra d’adapter dans le temps le dispositif.
Les victimes doivent avoir confiance en la réponse de l’État car elles ont peur pour elles-mêmes ou pour leurs proches. Elles ont besoin de savoir qu’il y a un accompagnement afin de limiter le traumatisme familial. D’autant que la victime a souvent peur de ne pas être écoutée ou crue lors de la déclaration des faits.
Les cadavres sont une denrée très disputée : certains insectes n’hésitent pas à parcourir des kilomètres pour venir y pondre leurs œufs. Cette entomofaune nécrophage est habituellement discrète, mais omniprésente : le moindre animal mort est immédiatement colonisé. Même si les corps humains sont rares comparativement aux autres animaux, ils n’échappent pas à cette fatale attraction.
Dès la mort survenue, un corps cadavre attire de nouveaux occupants : s’il fait beau, les mouches arrivent en quelques minutes à peine. Elles déposent des œufs par centaines, qui donnent naissance à autant de petits asticots. Sous l’effet de cette colonisation rapide et massive, le cadavre se transforme en un véritable écosystème. L’entomologie médico-légale (aussi appelée entomologie forensique) analyse les insectes de cet écosystème afin d’évaluer la date et parfois les circonstances du décès. Ce type d’expertise à de profondes racines (les premières traces écrites remontent au 13ème siècle), mais les méthodes ont considérablement évolué au cours des dernières années. A la fin du 19ème siècle, un vétérinaire français, J.P. Mégnin, proposa une chronologie basée sur la succession des insectes. Ce principe, connu sous le nom de « théorie des escouades », a longtemps servi de référence pour la datation des cadavres. Il a ensuite été progressivement abandonné en raison de sa trop grande imprécision et de son manque de fiabilité. La méthode des escouades n’est donc plus utilisée pour les datations judiciaires, qui reposent désormais sur le calcul de l’âge des larves.
Quels insectes sur un cadavre ?
Les espèces les plus courantes et les plus abondantes sont des mouches de la famille des Calliphoridae. Les femelles peuvent sentir un corps à des kilomètres de distances, et pénétrer dans les habitations. Chaque mouche femelle pond une grappe d’environ 200 œufs qui, à l’éclosion, vont donner naissance à des petits asticots. Malgré leur petite taille, ces œufs et jeunes larves sont relativement faciles à repérer : ils sont généralement regroupés au niveau de la face (yeux, narines, sourcils), du cuir chevelu, à l’interface avec le sol ou dans des zones humides et protégées (vêtements). Ces asticots se nourrissent des chairs durant plusieurs jours, puis s’éloignent du cadavre à la recherche d’un abri où se transformer en cocons (appelés pupes) à l’intérieur desquels les larves se métamorphosent en mouches adultes. Outre les Calliphoridae, on trouve également des mouches appartenant aux familles des Muscidae, Faniidae et Sarcophagidae, qui colonisent les cadavres un peu plus tardivement. La biologie de ces espèces leur permet de se développer et se reproduire sur un même cadavre durant plusieurs générations. Certaines espèces peuvent même s’immiscer jusque dans les endroits confinés comme les cercueils, où on les observe en abondance lors des exhumations.
Tout au long de la décomposition, on peut également trouver des coléoptères appartenant aux familles des Necrophoridae, Histeridae et Staphylinidae. Hormis certaines espèces courantes telles que Necrodes littoralis ou Creophilus maxilosus, ces insectes sont assez mal connus et apportent donc peux d’informations pour la datation du décès. Citons tout de même le cas des dermestes (littéralement « mangeurs de peaux »), de petits coléoptères qui se nourrissent de chairs desséchées. Les dermestes sont donc fréquents dans les zones avec un climat chaud et sec ainsi que sur les cadavres trouvés dans des habitations, où ils peuvent rapidement pulluler et conduire à une rapide squelettisation du corps. On retrouve alors une abondance de mues et de déjections, qui forment une sorte de terreau fibreux ( les « frass »). Ce type de traces peut permettre une estimation fiable du délai post-mortem, même plusieurs mois après la mort.
Enfin, il existe également une foule d’espèces opportunistes ou occasionnelles, qui profitent de la présence d’un cadavre dans leur environnement pour s’y nourrir ou chasser. On peut ainsi trouver des mites, guêpes, fourmis, araignées, bousiers et autres espèces plus ou moins accidentelles. Bien qu’il ne faille surtout pas les exclure a priori, ces espèces se révèlent souvent peu informatives. De fait, la vaste majorité des expertises en entomologie médico-légale repose sur l’analyse des larves de Diptères, et principalement des Calliphoridae.
Le rôle de l’expertise en entomologie
L’utilisation des insectes prévaut lorsque les techniques de datation médico-légale classiques ne sont plus efficaces, c’est-à-dire 48 à 72h après le décès. La première phase de l’expertise entomologique consiste à prélever les insectes présents sur et autour du corps, puis à les identifier. La réalisation de prélèvements doit être réalisée par une personne préalablement formée, et incombe le plus souvent aux techniciens de scène de crime (police scientifique) ou au médecin légiste. Des recommandations ont été publiées par l’European Association for Forensic Entomology (EAFE) et de nombreux ouvrages proposent des protocoles de prélèvement. Certains laboratoires ou équipementiers diffusent également des Kits contenant le matériel et un protocole. Voici quelques principes de base :
Les prélèvements doivent impérativement être effectués sur le site de découverte ducorps. Il faut prélever tout insecte se trouvant sur le corps ou à proximité immédiate : larves, vers, coléoptères, mouches mortes, etc. Le but est d’avoir un échantillon représentatif. Il n’est pas nécessaire de capturer les mouches volant autour du cadavre. Compléter si besoin les prélèvements lors de l’examen de corps.
Penser à rechercher la présence de pupes (cocons), qui se trouvent généralement à distance du cadavre. Si le cadavre est en extérieur, prélever de la terre autour du corps (1-2m de distance, quelques centimètres de profondeur). Si le cadavre est en intérieur, chercher sous les objets situés dans la pièce, et vérifier dans les pièces voisines.
Placer les insectes vivants dans des flacons percés de petits orifices (attention à ce qu’ils ne puissent pas s’échapper). Fixer la moitié des prélèvements en les plongeant dans une solution de conservation (formol ou alcool) ou en les congelant. Noter sur chaque flacon la date et l’heure et décrire brièvement son contenu (e.g. « 2 larves » ou « 1 pupe vide »).
Placer le plus rapidement possibleles prélèvements au frais et les acheminer pour expertise dans les meilleurs délais (ne pas dépasser quelques jours maximum). Noter l’historique thermique (e.g. « prélèvement le 25/07 à 16H, frigo 7°C à 17h, transport le 27/07 à 10h »).
Communiquer à l’expert en entomologie toute information qui ne figurerait pas sur le procès-verbal de découverte du cadavre ou l’album photographique.
Calculer l’âge des larves colonisant les corps
Le principe de base de l’expertise en entomologie est de calculer l’âge des larves ou des pupes afin de déterminer le moment de leur ponte. S’agissant d’insectes nécrophages, leur arrivée indique que la victime était déjà décédée. Imaginons la découverte d’un cadavre le 28 mai : si des insectes nécrophages âgés de 10 jours sont retrouvés sur le corps, c’est que la victime était déjà morte 10 jours avant la découverte du corps, c’est-à-dire le 18 mai. C’est ce qu’on appelle un délai post-mortem minimum.
Pour calculer l’âge des larves, il faut identifier l’espèce et connaître la température. La méthode la plus couramment utilisée est appelée degrés-jours : pour comprendre son fonctionnement, le plus simple est d’utiliser un exemple. Imaginons que l’espèce découverte sur le corps a une température seuil, notée Ts, de 10°C. Cette valeur Ts peut être vue comme un prélèvement forfaitaire obligatoire : seuls les degrés au-dessus de ce seuil sont conservés par la larve pour son développement. Ainsi, à une température constante de 20°C, chaque jour apporte à cette espèce 20°C-Ts = 10 degrés utiles à son développement. Si la température est de 30°C, la larve récupère alors 30-Ts=20°C de développement. L’objectif à atteindre est quant à lui noté ADD (pour Accumulated Degree Days). Dans notre exemple, postulons qu’il faille 150 ADD pour qu’un oeuf de cette espèce se transforme en mouche. A une température constante de 20°C, chaque jour apporte 10 degrés et il faudra donc 15 jours pour accumuler 150 ADD et obtenir une mouche. On raisonne de la même manière lorsque la température varie : une première journée à 20°C suivie d’une journée à 30°C apporteront 10 + 20 degrés-jours à notre larve.
Cette méthode à l’avantage d’être très simple et de fonctionner dans les deux sens : on peut observer une larve et savoir quand elle deviendra adulte, mais aussi partir de l’adulte pour savoir durant combien de temps sa larve s’est développée. C’est ce que l’on fait lors d’une expertise : on identifie les larves présentes sur le cadavre, on reconstitue la température qu’il faisait et on détermine ainsi depuis combien de temps ces larves se développent sur le cadavre (le délai post-mortem minimum).
Comment estimer le délai de colonisation ?
Le calcul du délai post-mortem minimum n’est généralement pas suffisant. Reprenons notre exemple précédent : dans un cas où la victime serait portée disparue depuis décembre, affirmer qu’elle était déjà morte 10 jours avant la découverte du corps, c’est-à-dire le 18 mai, ne serait pas d’une grande aide. Le travail de l’entomologiste consiste donc non seulement à déterminer l’âge des larves, mais aussi à estimer le délai écoulé entre la mort et l’arrivée de ces insectes. Lorsque des larves de Diptères Calliphoridae en cours de développement sont retrouvées, leur interprétation est relativement simple : en conditions favorable, ces mouches pondent très rapidement après la mort. La date des premières pontes peut alors être considérée comme concomitante avec le décès.
En revanche, lorsque les conditions de colonisation ne sont pas optimales (mauvaises conditions météo, corps dans un intérieur fermé) ou dans le cas d’espèces dites tardives, il est plus délicat, voire impossible, de calculer le temps écoulé entre la mort et les pontes. La datation est donc limitée à un délai post-mortem minimum, accompagnée lorsque cela est possible d’une estimation qualitative du délai de colonisation.
Autres apports et limites de l’entomologie médico-légale
Outre la datation du décès, l’étude de l’entomofaune d’un cadavre peut éclairer sur des évènements survenus péri ou post-mortem. L’absence sur un corps d’un ensemble d’espèces très communes peut indiquer une inaccessibilité temporaire du cadavre. Il peut s’agir d’un confinement (e.g. séquestration du corps dans une pièce fermée), de la présence d’un « emballage », mais également de mauvaises conditions climatiques. A l’inverse, il est fréquemment mentionné que la présence de certaines espèces serait révélatrice du déplacement d’un cadavre. Cette idée est peu réaliste : les principales espèces nécrophages se rencontrent partout en Europe centrale, et dans presque tous les milieux. Il est donc exceptionnel de découvrir une espèce indicatrice d’une localisation spécifique. Notons cependant deux cas particuliers : les corps inhumés, généralement très peu colonisés, et les corps immergés, auxquels une faune spécifique est associée. Enfin, les insectes nécrophages peuvent parfois coloniser des plaies nécrosées de personnes vivantes : on parle alors de myiases. Dans de tels cas, l’analyse des larves peut permettre de dater les derniers soins et de démontrer d’éventuelles négligences / maltraitances envers une personne dépendante.
Quelques références :
Amendt J, Campobasso CP, Gaudry E, Reiter C, LeBlanc HN, Hall M. 2007 Best practice in forensic entomology—standards and guidelines. International Journal of Legal Medicine 121, 90–104.
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Byrd JH, Tomberlin JK, editors. 2019 Forensic Entomology: The Utility of Arthropods in Legal Investigations. 3rd edn. Boca Raton: CRC Press.
Charabidze D. 2021 Ils peuplent les morts: approche entomologique médico-légale. Lyon: Fage éditions.
Charabidze D, Gosselin M, Collectif, Beauthier J-P. Insectes, Cadavres Scènes de Crime Principes et Applications de l’Entomologie Medico-Legale. Louvain-la-Neuve: De Boeck; 2014. 261 p.
Erzinçlioglu Z. Blowflies. Slough: The Richmond Publishing Co. Ltd; 1996. (Naturalist’s Handbooks; vol. 23).
Marchenko MI. Medicolegal relevance of cadaver entomofauna for the determination of the time of death. Forensic Science International. 15 août 2001;120(1–2):89‑109.
Smith KGV. 1986 A manual of forensic entomology. London: Trustees of the British Museum (Natural history).
Et si la police pouvait connaître à l’avance le lieu d’un crime? Une possibilité bien réelle avec ce nouvel outil de l’intelligence artificielle mis au point par une équipe de chercheurs américains.
2054 à Washington DC : des humains mutants prédisent les crimes et permettent d’en arrêter les futurs auteurs grâce à leur don de précognition. Tel est le “pitch”du film Minority report sorti en 2002 et qui oscille en permanence entre l’utopie et le cauchemar absolu d’une société sous contrôle.
2022 à Chicago : Ishanu Chattopadhyay et son équipe de chercheurs ont créé un algorithme capable de prédire une semaine à l’avance le niveau de criminalité qui pourrait se développer dans une zone précise. Avec des résultats fiables à près de 90%!
L’Intelligence artificielle, nouveau prophète?
Pour arriver à ce taux de précision absolument stupéfiant, la zone urbaine a d’abord été divisée en carrés de 300 mètres de côté. Les chercheurs ont ensuite fait travaillé leur algorithme sur les données concernant la criminalité de la ville de 2014 à 2016 et ce dernier a prévu avec succès le niveau de criminalité pour les semaines suivantes. Ces performances se sont répétées dans les sept autres grandes villes des Etats Unis qui ont été étudiées.
Face à ce niveau de résultats, la question qui se pose désormais est l’utilisation qui doit être faite de ce type de modélisation. Elle pourrait devenir un auxiliaire de prévention pour garantir la sécurité des biens et des personnes, mais ne pourrait-elle pas également devenir un outil de contrôle implacable, en pointant notamment certaines populations?
C’est la principale critique faite aux Etats Unis où un précédent algorithme a déjà été testé par la police de Chicago. Conçu pour repérer les personnes les plus à risque d’être impliquées dans une fusillade, il a dressé une liste qui comprenait 56% d’afro-américains entre 20 et 29 ans, créant selon certains un véritable risque de discrimination raciale…
Focus sur un lieu et non sur un suspect.
Pour le chercheur Ishanu Chattopadhyay, son algorithme présente toutefois une différence essentielle : ses prédictions ne concernent que des lieux et non pas d’éventuels suspects. Leur exploitation pourraient donc contribuer à mettre en place une véritable politique sécuritaire dans certaines régions qui irait bien au-delà de l’aide apportée aux policiers sur le terrain.
Les études de cette équipe de Chicago ont par ailleurs mis en évidence que le nombre d’arrestations étaient plus élevé dans les quartiers les plus riches, signe d’une activité policière plus importante. De là à y voir une autre forme de discrimination…
Embarquée depuis 1960 dans les avions de ligne, la boîte noire a fait son apparition dès le 6 juillet 2022 dans les véhicules neufs fabriqués dans l’Union Européenne. Si certains y voient un véritable “mouchard”, ce dispositif est avant tout une précieuse source d’informations en cas d’accidents, de faits délictuels ou criminels.
Système d’alerte à la somnolence, de détection en marche arrière ou d’adaptation intelligente de la vitesse… La voiture est devenue en quelques années un petit bijou de technologie généralement apprécié par les conducteurs. La mise en place de cette fameuse boîte noire qui n’est pas sans rappeler celle qui équipe le cockpit des avions, suscite en revanche beaucoup moins d’enthousiasme, le dispositif étant jugé trop intrusif.
Un enregistrement limité à quelques données.
Une inquiétude infondée car cet équipement n’a pas pour vocation d’épier le moindre fait et geste du conducteur et de ses passagers le temps du parcours. Contrairement au boîtier embarqué dans un avion, il n’enregistre aucun son ni conversation. De même, aucune donnée ne peut être utilisée afin d’identifier les personnes qui se trouvent à bord du véhicule ou encore évaluer la conduite du conducteur en enregistrant par exemple la fréquence des accélérations ou des freinages.
Son but ? Tout simplement d’analyser ce qui s’est passé en cas d’accident. A cet effet, le boîtier enregistre des données purement objectives telles que la vitesse, la force de collision, la pression sur l’accélérateur ou le frein, l’action des systèmes de sécurité (ABS), le port de la ceinture… La puce électronique utilisée pour enregistrer ces données ne retient que les 30 secondes précédant l’accident et les 15 secondes qui suivent.
Un accès strictement réservé aux autorités
Pas question non plus de partager ces données avec les compagnies d’assurance comme le craignent certains usagers ! Seuls les autorités judiciaires ou les instituts de recherche pourront y avoir accès pour tirer au clair les circonstances d’accidents aux conséquences souvent tragiques comme en témoigne cette affaire qui s’est déroulée sur le périphérique parisien.
Le 21 février 2013, au terme d’une course poursuite à 150 km/heure, Malamine TRAORE, âgé de 22 ans au moment des faits, encastrait son 4×4 Range Rover dans un véhicule sérigraphié de la BAC, tuant sur le coup deux fonctionnaires de police et en blessant grièvement un troisième.
Au-delà de ses nombreuses condamnations pour des délits routiers, d’une absence de permis de conduire et d’une alcoolémie à 1,4 g, l’analyse de la boîte noire qui équipait le véhicule a démontré que le chauffard n’avait jamais retiré son pied de l’accélérateur ou entamé une quelconque manœuvre d’évitement, et ce même si celui-ci a toujours nié avoir délibérément percuté la voiture de police. Jugé pour “violence volontaire sur personnes dépositaires de l’autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner”, il a été condamné en appel à 15 ans de réclusion criminelle.
Nul doute qu’à l’avenir, ces enregistreurs de données automobiles pourront contribuer, avec les autres éléments matériels liés aux véhicules, à résoudre de nombreuses affaires délictuelles ou criminelles.
L’Ukraine et de nombreuses ONG construisent un dossier pour traduire la Russie devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. Le 11 avril 2022, une équipe de 18 gendarmes de l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) s’est rendu en Ukraine afin d’assister leurs homologues dans la difficile mission d’identification des victimes de catastrophes. L’AFP a pu échanger avec le Général de Division Patrick TOURON commandant du Pôle Judiciaire de la Gendarmerie Nationale.
Les gendarmes français dépêchés lundi en Ukraine ont pour mission première d’identifier les victimes et de déterminer les causes de leur mort, a expliqué lundi à l’AFP le général Patrick Touron, commandant du pôle judiciaire de la gendarmerie. “Cette équipe de dix-huit gendarmes de l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) est essentiellement composée de spécialistes de l’identification, renforcés de deux balisticiens et d’un spécialiste en explosifs”, a détaillé le général. Leur mission a une durée “indéterminée”, mais des relèves sont d’ores et déjà prévues. “Dès mardi, ils seront à Kiev, lieu de leur mission pour l’instant”, a poursuivi le général.
L’IRCGN est une des seules structures techniques en Europe capable de se projeter
en deux heures sur un théâtre d’opérations
Général de Division Patrick TOURON
Ils y seront “encadrés par les forces de sécurité ukrainiennes” et travailleront avec leurs homologues ukrainiens. “L’IRCGN est une des seules structures techniques en Europe capable de se projeter en deux heures sur un théâtre d’opérations”, qu’il s’agisse d’un théâtre de guerre (au Mali, notamment) ou d’une catastrophe naturelle (tsunami de décembre 2004), a fait valoir le général Touron. Outre le laboratoire mobile destiné aux analyses ADN, l’équipe est partie avec sept véhicules, dont un camion transportant douze “chambres mortuaires à froid” pour conserver les corps autopsiés. Elle est totalement autonome car dotée de moyens lui permettant d’être fournie en électricité notamment.
Nous sommes là-bas pour les victimes, pour aider les familles à trouver leurs
proches, examiner les corps pour déterminer les causes de la mort
a insisté le Général, en soulignant qu’il s’agissait une coopération entre la France et l’Ukraine
Par la suite, a-t-il dit, “une structure internationale sera mise en place à mesure que d’autres pays enverront sur place des équipes” pour participer aux identifications et à l’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur les “crimes de guerre” commis en Ukraine. Dimanche, la justice ukrainienne a affirmé que 1.222 personnes avaient été tuées dans la région de Kiev depuis le début de l’invasion, sans préciser s’il s’agissait uniquement de civils. Les images de vingt cadavres vêtus de vêtements civils dans une rue à Boutcha, dans le nord-ouest de Kiev, ont fait le tour du monde. Les autorités ukrainiennes ont dénoncé un “crime de guerre” de l’armée russe, que Moscou a aussitôt démenti. Vendredi, le président Emmanuel Macron avait affirmé que la France était en train de “rassembler les preuves” contre “des crimes de guerre des Russes” en Ukraine et avait annoncé l’envoi de gendarmes et magistrats français dans le pays.
L’ADN est partout, dans l’eau, la terre et même dans l’air! Et les scientifiques disposent désormais de méthodes d’analyse capables de capter et de séquencer cet ADN environnemental.
Grâce à des progrès importants au niveau de la PCR (Polymerase Chain Reaction) et du séquençage, la technique de l’ADNe ou ADN environnemental a désormais le vent en poupe. Dernière prouesse en date dans un domaine qui repousse sans cesse les limites: la captation et le séquençage de l’ADN présent dans l’atmosphère.
L’ADN environnemental : une technique fiable et non invasive.
Le principe de l’ADNe repose sur la capacité qu’ont tous les êtres vivants, à laisser sur leur passage des fragments d’ADN provenant de l’urine, des fèces, des poils, des écailles, des sécrétions…Ceux-ci se retrouvent ensuite dans l’environnement : l’océan, l’eau d’un lac ou d’une rivière, le sol, les sédiments et comme l’ont démontré deux études réalisées dans des parcs zoologiques, dans l’air ambiant. Ces traces constituent une source d’informations précieuses pour identifier la présence ou le passage de certaines espèces, de l’infiniment petit comme les bactéries ou les virus aux espèces particulièrement discrètes ou rares qu’il est difficile, voire impossible, de répertorier avec les méthodes classiques. L’autre intérêt et non le moindre de la technique de l’ADNe, c’est le fait qu’elle soit non-invasive. Il suffit en effet de prélever une petite quantité du milieu dans lequel évoluent les espèces que l’on souhaite étudier sans avoir à intervenir sur les individus eux-mêmes.
De la simple trace au barcoding.
Une fois prélevés, les échantillons d’eau ou de terre sont envoyés en laboratoire pour analyse. Le protocole, qui comporte pas moins de quatre étapes, exige la plus grande rigueur de la part des scientifiques afin d’éviter les risques de contamination.
La première étape consiste à isoler les molécules d’ADN grâce à des méthodes de biologie moléculaire (par précipitation et centrifugation) désormais bien maîtrisées et largement automatisées, ce qui a permis d’en faire baisser le coût. Dans un deuxième temps, cet ADN est amplifié par PCR afin d’en obtenir des quantités suffisantes pour pouvoir le séquencer.
Le séquençage ADN permet de déterminer la séquence ADN correspondant à une espèce, c’est à dire le fragment de nucléotides qui la caractérise et la différencie des autres. Ces séquences sont ensuite répertoriées dans des bases de données internationales selon le concept du barcoding moléculaire inventé en 2003 par Paul Hebert, zoologiste et écologue canadien. Classés sous la forme de code-barres et intégrés dans un système informatisé, les fragments d’ADN peuvent être ainsi facilement comparés et identifiés en un temps record.
Un vaste champ d’application.
En quelques années, la technique de l’ADN environnemental est devenu un outil particulièrement apprécié des chercheurs pour l’étude de la biodiversité. Grâce à l’analyse des prélèvements, il est en effet possible d’identifier et de quantifier les êtres vivants présents dans les milieux naturels, de suivre les espèces rares ou en danger ou au contraire de surveiller l’émergence d’espèces exotiques envahissantes susceptibles de déséquilibrer l’environnement. Plus étonnant encore, l’analyse d’un simple échantillon de miel est capable de recenser toutes les espèces végétales butinées par les abeilles alors que l’ADN piégé dans quelques grammes de sédiments permet de remonter le temps, révélant quelles espèces peuplaient certains territoires il y a des milliers d’années.
Enfin, tout récemment, cette technique a apporté une contribution significative à la lutte contre la pandémie de Covid 19. Dans ce cas, c’est l’ARN viral qui a été traqué dans les eaux usées, permettant de quantifier la présence du virus et par conséquent de mieux anticiper l’évolution de l’épidémie. A l’avenir, cet outil pourrait également servir à repérer en amont l’apparition de nouveaux variants. En attendant de nouvelles applications, toutes aussi fascinantes, dans bien d’autres domaines.
Ce chemin qui remonte de l’acte criminel à son auteur est ce qu’on appelle la preuve. Elle est – à des titres divers – la préoccupation quotidienne des enquêteurs, des organes de poursuite et des juges. Sa nature essentiellement rétrospective en fait la difficulté, l’imprévisibilité, l’incertitude. On ne remonte pas le temps comme ça. Des années de cours d’assises m’ont enseigné que le chemin qui sépare la preuve la plus spectaculaire d’une déclaration de culpabilité est mystérieux : on croit la tenir, elle s’échappe, elle semble obscure, elle s’impose. « Toi qui pénètres ici, méfie-toi : la preuve absolue n’existe pas » pourrait être l’avertissement gravé au fronton des laboratoires de criminalistique. Et pour cause.
Quand c’est trop beau pour être vrai
Il venait de tuer le vieil amant qui avait refusé de céder à ses exigences financières quand, pris de remord, il avait alerté la police pour qu’on tente de lui prodiguer les soins qui, pensait-il, pourrait le sauver. Sans révéler son nom, il avait pris la fuite avant l’arrivée des secours. Arrêté peu après et confronté à l’enregistrement de son message, il avait reconnu les faits mais une partie de la procédure qui contenait ses aveux fut annulée. A la reprise de l’instruction, il avait décidé de changer son système de défense et de nier les faits, position qu’il avait maintenue jusqu’à son procès. Le président décida de lui laisser longtemps la parole au cours de son interrogatoire de personnalité pour que chacun puisse se familiariser avec le son de sa voix. Vint alors le moment de l’examen des faits et la diffusion de son message enregistré par les services de police.
Lors de la suspension qui est un moment de détente et d’échanges informels, tous les juges et jurés avaient parfaitement reconnu la voix de l’accusé. L’affaire était pliée. Sauf que…
Sauf qu’à la reprise, et pour enfoncer le clou, le ministère public avait sollicité la rediffusion du message accablant, ce qui fut fait. Vint la suspension suivante qui vit l’un des jurés pris d’un doute. A la requête de la partie civile, on rediffusa le message, mais à la coupure d’après, ils étaient trois à s’interroger. Autant dire que sollicité une dernière fois d’ordonner la rediffusion du message enregistré, le président, instruit par l’expérience, s’en garda bien. L’accusé dont seuls les professionnels avaient connaissance des aveux rétractés, aurait probablement été acquitté si l’on s’était éternisé à rediffuser son appel.
Plus une preuve semble définitive, plus on doit s’en méfier
Sa coupe de cheveux très particulière à l’époque, était reconnaissable entre mille : rasé tout autour de la tête, ne laissant apparaître qu’une brosse ovale de cheveux noirs et drus sur le front haut, mince et élancé, aucun de ces détails n’échappa à la vidéosurveillance du parking sous-terrain dans lequel il avait pénétré à visage découvert pour commettre son forfait. Il fut acquitté.
Quelle plus belle preuve que de voir la victime désigner elle-même son tueur avec son propre sang, qui plus est, en commettant une faute d’orthographe dont elle était coutumière ?! La condamnation de l’accusé ne fit pourtant pas obstacle au mouvement qui, invoquant une erreur judiciaire, aboutit à la grâce du condamné.
Combien de chances avez-vous de vous tromper dans l’identification de cette empreinte génétique, demande-t-on fréquemment à l’expert ? Une sur un milliard, environ, répond-il. Jusqu’au jour où l’on s’aperçoit, ce qui est arrivé sous mes yeux, qu’une erreur matérielle contenue dans l’expertise dictée à la va-vite, avait faussement désigné l’accusé.
Les exemples de la sorte abondent et l’on pourrait en tirer une première leçon : plus une preuve semble définitive, plus on doit s’en méfier.
Progresser encore et encore
Tout ceci ne saurait dissuader les techniciens et experts de chercher en permanence à perfectionner les techniques de recherche et il faut bien reconnaître que depuis la découverte de la dactyloscopie, le chemin parcouru qui a permis d’identifier les criminels ou de mettre hors de cause les suspects est impressionnant.
La recherche scientifique est permanente et on ne soupçonne probablement pas quels progrès futurs vont encore éclairer la vérité.
Mais aussi loin que l’on puisse progresser, il est une solution de continuité qui séparera toujours l’administration de la preuve de la déclaration de culpabilité et engendrera parfois la frustration du meilleur limier, c’est celle du travail de la raison.
Sans reprendre in extenso la déclaration qu’adresse aux jurés le président de la cour d’assises à la fin des débats, avant que la cour se rende dans la chambre des délibérations, il convient toutefois d’en citer ce passage contenu dans le plus bel article du code pénal, l’article 353 qui postule la liberté de la preuve et l’intime conviction : « …la loi…prescrit [aux juges]…de chercher…quelle impression ont faites sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense… ». Aussi parfaite que soit la preuve, sa démonstration exigera donc toujours un travail de la raison sans lequel aucune décision de culpabilité ne peut être prononcée. Or, il n’est rien de plus incertain que la raison, même si la collégialité en atténue fortement l’aléa.
Les difficultés d’un délibéré
Il est, par exemple, particulièrement difficile de se prononcer sur l’intention homicide. Que signifie : donner volontairement la mort ? Doit-on sonder la pensée exacte de l’accusé au moment précis d’un acte auquel il ne pensait peut-être pas l’instant d’avant et qu’il va regretter aussitôt son forfait commis ? Voulait-il vraiment donner la mort ? C’est, à l’évidence impossible. Il va donc falloir déterminer si la mort est la conséquence matérielle logiquement prévisible d’un acte commis par une personne consciente et lucide.
De même les traces d’ADN désignant un accusé sur les sous-vêtements de la plaignante d’un viol, aussi catégoriques soient-elles, ne dispenseront jamais d’une interrogation sur le consentement, ni les traces de défense constatées sur les poignets de celle-ci, sur les origines et circonstances de la lutte.
Sans oublier et c’est peut-être l’essentiel, qu’un procès – où le doute profite à l’accusé – est l’exercice singulier qui commande aux juges de déterminer ce dont ils sont sûrs, d’agissant de faits auxquels ils n’ont pas assisté.
Toujours les fondamentaux
Les enquêteurs et experts n’ignorent rien de tout cela, bien sûr. Mais à cette démarche rétrospective qui est leur lot, va en succéder une autre, prospective cette fois, qui est précisément la mission de cette interface qu’est le parquet et qui consiste à évaluer, avec toutes les précautions possibles vu l’incertitude qui caractérise la démarche des juges, et à garantir la qualité de la preuve que l’autorité de poursuite va leur soumettre.
Dans cette chaîne procédurale incertaine et, à vrai dire, assez vertigineuse qui, partant de la constatation du drame, doit conduire avec suffisamment de certitude à l’identification du criminel et à la répression du crime, il convient que chacun ait une pleine conscience du rôle qui est le sien et de la place qu’il occupe.
Les zones de conflit sont souvent l’occasion de tester et d’utiliser des nouvelles technologies. C’est le cas de la reconnaissance faciale qui va être utilisée par l’Ukraine à des fins d’identification. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Dans son roman 1984, George Orwell avait imaginé le personnage “Big Brother” dont l’oeil surveille en permanence la population. En 2022, Big Brother a pris la forme de la reconnaissance faciale qui s’installe peu à peu dans nos sociétés même si elle n’a pas toujours bonne presse.
Dans le cadre de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, cette technologie mise à la disposition des autorités ukrainiennes par la Start-up Clearview AI, a pour but d’identifier les réfugiés qui se présentent aux points de contrôle ainsi que les personnes décédées dans les combats mais également de débusquer les agents russes qui essaieraient de s’infiltrer. Le moteur de recherche de Clearview AI dispose pour cela d’une base de données de plus de dix milliards de photos, alimentée notamment par les réseaux sociaux.
Entre biométrie et Intelligence Artificielle.
La reconnaissance faciale permet d’analyser les différentes caractéristiques d’un visage en associant plusieurs technologies : la biométrie, l’Intelligence Artificielle et la cartographie 2D ou 3D. En pratique, il suffit d’isoler le visage d’un individu à partir d’une photo ou d’une vidéo puis d’en analyser les spécificités (distance entre les yeux, taille et position des oreilles, forme des lèvres…). Les logiciels de reconnaissance faciale peuvent analyser jusqu’à 80 de ces caractéristiques, encore appelées points nodaux. Ces données sont ensuite utilisées pour créer un code numérique ou empreinte faciale qui est propre à chaque individu comme le sont les empreintes digitales. Cette empreinte peut alors être comparée à une base de données renfermant des millions d’autres visages cartographiés de la même manière. Grâce à un réseau de neurones artificiels qui s’inspire du cerveau, le Deep learning (que l’on peut traduire par “apprentissage profond”), les algorythmes de la machine ont appris à reconnaître les visages humains et peuvent à priori faire coïncider sans erreur l’empreinte proposée avec la photo correspondante.
Un outil d’exception en matière de sécurité.
Même si on ne le sait pas toujours, l’usage de la reconnaissance faciale gagne du terrain. Elle est en effet de plus en plus utilisée par les autorités, en particulier pour la surveillance dans les aéroports et aux frontières.
Aux États-Unis où aucune loi ne régit la collecte et le stockage des données personnelles, le FBI dispose déjà d’une base de 650 millions de photos collectées dans les aéroports et les réseaux sociaux. Dans de nombreuses villes américaines, les forces de l’ordre sont également équipées de caméras corporelles qui permettent la reconnaissance faciale en temps réel. Il leur suffit de prendre en photo un conducteur ou tout individu suspect et d’interroger les bases de données à leur disposition pour savoir si celui-ci est fiché.
La police française dispose quant à elle d’un fichier intégrant la reconnaissance faciale appelé TAJ (Traitement des Antécédents Judiciaires). Il regroupe les informations provenant des rapports d’enquêtes et d’interventions et renferme à ce jour plus de 8 millions de photos. Sa consultation est encadrée juridiquement et doit être limitée aux enquêtes pour crimes et délits ainsi qu’à la recherche de personnes disparues. Le système de reconnaissance faciale PARAFE est par ailleurs déployé dans quelques gares et aéroports particulièrement sensibles.
Cette technologie représente sans aucun doute un outil intéressant pour la sécurisation des grands événements, la recherche de fugitifs ou l’identification d’individus dangereux. La France reste toutefois très prudente quant à son utilisation. Si la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) a autorisé en 2019 la ville de Nice à une expérimentation pendant son Carnaval, les organisateurs des Jeux Olympiques 2024 semblent en revanche avoir définitivement écarté cette solution pour en garantir la sécurité.
La vie privée sous surveillance ?
Une prudence qui n’a rien d’une lubie. Car au-delà des difficultés évidentes à en contrôler l’usage et les abus éventuels dans les zones de guerre, la reconnaissance faciale pose d’emblée une question essentielle : comment protéger sa vie privée et ses données personnelles si l’on risque sans le savoir d’avoir son visage intégré dans ce type de logiciel ?
En effet, de nombreuses entreprises et plateformes internet ont déjà intégré un système de reconnaissance faciale dans leur technologie. C’est le cas d’Apple qui le propose pour déverrouiller leurs smartphones mais aussi de Twitter, Facebook, Google…. Ce qui a déjà permis à la Société Clearview AI, celle-là même qui vient d’équiper les ukrainiens, d’aspirer plusieurs milliards de photos, vidéos et données personnelles. Avec des conséquences qu’il est encore difficile de mesurer.
Lorsqu’un tir par arme à feu se produit, un nuage de résidus de tir va se former et s’échapper de l’arme par les différents orifices. Les particules produites, de l’ordre du millième de millimètre et de forme globulaire, vont se déposer sur les mains et les vêtements du tireur, mais également sur tout objet/personne présent aux alentours.
Prélèvement de résidus de tir
C’est à ce titre que l’expertise en résidus de tir trouve sa principale application, à savoir confondre un individu suspecté d’avoir tiré, voire d’avoir été présent à proximité du tir, et pour lequel on retrouve des particules pouvant être attribuées à des résidus de tir.
Photographies en microscopie électronique à fort grossissement de particules de résidus de tir. L’aspect globulaire est bien visible.
Ainsi lorsqu’un tireur présumé est appréhendé, des prélèvements sur sa personne sont effectués au moyen d’un kit, constitué de plusieurs tamponnoirs munis de faces collantes. Ces faces collantes vont être appliquées sur les mains et visage du suspect afin d’y récolter un maximum de particules microscopiques. Ses vêtements peuvent également être saisis pour être prélevés à leur tour, de même que des objets présents dans l’environnement des tirs (comme un véhicule utilisé pour la fuite par exemple).
Illustration d’un prélèvement effectué sur la main gauche d’un individu – Crédits : Forenseek
Analyse des résidus de tir
Les résidus de tir sont alors recherchés sur ces prélèvements à l’aide de puissants microscopes électroniques couplés à des microanalyseurs X, seuls instruments capables à la fois de visualiser des microparticules tout en permettant de déterminer leur composition chimique élémentaire. Cette recherche est fastidieuse car elle peut s’apparenter, toute proportion gardée, à la recherche de confettis éparpillés aléatoirement sur un terrain de football, mais dont l’herbe n’aurait plus été coupée depuis des semaines ! Ainsi le développement de cette technique de recherche et d’analyse n’a pu se faire qu’au prix d’une automatisation quasi complète du processus. La principale tâche du microscopiste consiste donc à contrôler les résultats obtenus afin de s’assurer de l’attribution correcte à la classe des résidus de tir des différentes particules identifiées par l’analyse automatique.
Analyse d’un tamponnoir à l’aide d’un microscope électronique à balayage couplé à une microanalyse X – Crédits : ThermoFisher scientific
L’interprétation des résultats
En routine, la recherche se focalise sur les particules riches à la fois en plomb, baryum et antimoine. La littérature scientifique rapporte en effet que les particules contenant simultanément ces trois éléments chimiques ne peuvent provenir que d’un incident de tir. Parfois, des références balistiques sont également analysées, pour mieux caractériser le type de particule à rechercher ; le cas idéal étant d’analyser les particules produites lors d’un tir de référence réalisé au laboratoire avec l’arme et les munitions litigieuses ; des prélèvements effectués sur les mains du tireur de référence sont alors analysés, pour établir les types de résidus de tir à rechercher sur les prélèvements relatifs au suspect.
Le rapport d’expertise reprendra le nombre de particules d’intérêt retrouvées sur les prélèvements ainsi qu’une interprétation de ces résultats en fonction du contexte et des conditions de prélèvements. En effet la persistance des résidus de tir est un problème rencontré fréquemment : ces particules sont stables dans le temps et ne vont pas s’évaporer, mais à l’instar de la farine sur les mains du boulanger, toute action que le tireur aura après le tir (comme se laver et s’essuyer les mains) aura pour effet de diminuer voire d’éliminer la présence de résidus de tir sur ses mains. Se pose alors la question d’analyser ses vêtements, pour lesquels la persistance des résidus de tir est généralement meilleure. A l’inverse, détecter qu’un individu est contaminé en résidus de tir n’implique pas nécessairement qu’il a tiré.
Des études ont en effet montré qu’une personne proche du tireur peut, dans certaines circonstances, être plus contaminée que le tireur lui-même ; une personne qui entre dans une pièce, dix minutes après où un tir est survenu peut également se faire contaminer par le nuage de poudre en déposition. Ainsi et de manière générale, l’interprétation des résultats devra tenir compte de ces éléments circonstanciels pour donner un avis éclairé sur la présence éventuelle et les quantités de résidus de tir sur les prélèvements relatifs à un suspect. Il reste que malgré les éventuelles difficultés d’interprétation, on arrive souvent à des résultats exploitables qui permettent d’aider le magistrat à progresser dans son dossier. A ce titre, une étude a récemment été réalisée en Belgique pour mesurer l’impact des expertises en résidus de tir sur les décisions judiciaires. Cette étude, en cours de finalisation, fera l’objet d’un prochain article.