Les zones de conflit sont souvent l’occasion de tester et d’utiliser des nouvelles technologies. C’est le cas de la reconnaissance faciale qui va être utilisée par l’Ukraine à des fins d’identification. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Dans son roman 1984, George Orwell avait imaginé le personnage “Big Brother” dont l’oeil surveille en permanence la population. En 2022, Big Brother a pris la forme de la reconnaissance faciale qui s’installe peu à peu dans nos sociétés même si elle n’a pas toujours bonne presse.
Dans le cadre de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, cette technologie mise à la disposition des autorités ukrainiennes par la Start-up Clearview AI, a pour but d’identifier les réfugiés qui se présentent aux points de contrôle ainsi que les personnes décédées dans les combats mais également de débusquer les agents russes qui essaieraient de s’infiltrer. Le moteur de recherche de Clearview AI dispose pour cela d’une base de données de plus de dix milliards de photos, alimentée notamment par les réseaux sociaux.
Entre biométrie et Intelligence Artificielle.
La reconnaissance faciale permet d’analyser les différentes caractéristiques d’un visage en associant plusieurs technologies : la biométrie, l’Intelligence Artificielle et la cartographie 2D ou 3D. En pratique, il suffit d’isoler le visage d’un individu à partir d’une photo ou d’une vidéo puis d’en analyser les spécificités (distance entre les yeux, taille et position des oreilles, forme des lèvres…). Les logiciels de reconnaissance faciale peuvent analyser jusqu’à 80 de ces caractéristiques, encore appelées points nodaux. Ces données sont ensuite utilisées pour créer un code numérique ou empreinte faciale qui est propre à chaque individu comme le sont les empreintes digitales. Cette empreinte peut alors être comparée à une base de données renfermant des millions d’autres visages cartographiés de la même manière. Grâce à un réseau de neurones artificiels qui s’inspire du cerveau, le Deep learning (que l’on peut traduire par “apprentissage profond”), les algorythmes de la machine ont appris à reconnaître les visages humains et peuvent à priori faire coïncider sans erreur l’empreinte proposée avec la photo correspondante.
Un outil d’exception en matière de sécurité.
Même si on ne le sait pas toujours, l’usage de la reconnaissance faciale gagne du terrain. Elle est en effet de plus en plus utilisée par les autorités, en particulier pour la surveillance dans les aéroports et aux frontières.
Aux États-Unis où aucune loi ne régit la collecte et le stockage des données personnelles, le FBI dispose déjà d’une base de 650 millions de photos collectées dans les aéroports et les réseaux sociaux. Dans de nombreuses villes américaines, les forces de l’ordre sont également équipées de caméras corporelles qui permettent la reconnaissance faciale en temps réel. Il leur suffit de prendre en photo un conducteur ou tout individu suspect et d’interroger les bases de données à leur disposition pour savoir si celui-ci est fiché.
La police française dispose quant à elle d’un fichier intégrant la reconnaissance faciale appelé TAJ (Traitement des Antécédents Judiciaires). Il regroupe les informations provenant des rapports d’enquêtes et d’interventions et renferme à ce jour plus de 8 millions de photos. Sa consultation est encadrée juridiquement et doit être limitée aux enquêtes pour crimes et délits ainsi qu’à la recherche de personnes disparues. Le système de reconnaissance faciale PARAFE est par ailleurs déployé dans quelques gares et aéroports particulièrement sensibles.
Cette technologie représente sans aucun doute un outil intéressant pour la sécurisation des grands événements, la recherche de fugitifs ou l’identification d’individus dangereux. La France reste toutefois très prudente quant à son utilisation. Si la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) a autorisé en 2019 la ville de Nice à une expérimentation pendant son Carnaval, les organisateurs des Jeux Olympiques 2024 semblent en revanche avoir définitivement écarté cette solution pour en garantir la sécurité.
La vie privée sous surveillance ?
Une prudence qui n’a rien d’une lubie. Car au-delà des difficultés évidentes à en contrôler l’usage et les abus éventuels dans les zones de guerre, la reconnaissance faciale pose d’emblée une question essentielle : comment protéger sa vie privée et ses données personnelles si l’on risque sans le savoir d’avoir son visage intégré dans ce type de logiciel ?
En effet, de nombreuses entreprises et plateformes internet ont déjà intégré un système de reconnaissance faciale dans leur technologie. C’est le cas d’Apple qui le propose pour déverrouiller leurs smartphones mais aussi de Twitter, Facebook, Google…. Ce qui a déjà permis à la Société Clearview AI, celle-là même qui vient d’équiper les ukrainiens, d’aspirer plusieurs milliards de photos, vidéos et données personnelles. Avec des conséquences qu’il est encore difficile de mesurer.
Sources :
https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees